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IMPOPULARITÉ DU RÉGIME

conservant l’unité du souverain, eût rendu leur autonomie à deux peuples incapables de se comprendre. Les fonctionnaires hollandais s’étonnaient et s’irritaient d’une hostilité dans laquelle ils voyaient un outrage pour leur nation. La liberté de langage des Belges les indignait : « Chaque aubergiste, chaque manœuvrier, dit l’un d’eux, se prend ici pour un politique et se croit plus à même de gouverner que le Hollandais le plus intelligent »[1]. Les sentiments de la haute société se manifestaient à Bruxelles, en présence même de la cour, sous une forme insultante. On affectait de ne pas se lever quand la reine entrait au théâtre. On chutait les personnes qui se permettaient d’applaudir[2]. La sympathie que l’on témoignait au prince d’Orange était une manière de manifester contre le roi, dont personne n’ignorait la mésintelligence avec son fils[3]. Entre le clergé et l’administration, une mauvaise volonté réciproque provoquait des froissements continuels. Les curés refusaient de chanter la messe pour la rentrée des athénées ; les magistrats s’abstenaient d’assister aux processions. Et ces coups d’épingle, incessamment renouvelés, entretenaient un malaise et une irritation qu’il aurait fallu peu de chose pour transformer en haine nationale.


III

Ainsi, vers 1821, après six ans d’exercice, le gouvernement de Guillaume restait aussi impopulaire qu’à ses débuts et pourtant personne ne niait qu’il ne fût bienfaisant. La crise industrielle au milieu de laquelle il s’était constitué avait pris fin et une nouvelle période de prospérité s’ouvrait pour le pays. Le tarif protectionniste de 1816 avait sorti rapidement ses effets, tandis que les colonies hollandaises ouvraient de nouveaux débouchés aux manufactures. L’ouverture de l’Escaut, proclamée dès 1792, mais que les circonstances politiques

  1. Voy. plus haut, p. 272 n.
  2. Gedenkstukken 1815-1825, t. II, p. 542.
  3. Ibid., t. I, p. 243.