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L’INSTALLATION DU RÉGIME

Tout le monde se sentait heurté par une innovation dont la conséquence première serait d’ailleurs, incontestablement, de subordonner plus complètement encore qu’elle ne l’était déjà la Belgique à la Hollande. Les barreaux se signalaient par l’ardeur de leurs protestations. En 1822, celui de Gand pétitionnait pour le retrait de la loi, et une pétition en sens contraire ne récoltait aucune signature[1]. Le gouverneur du Limbourg écrivait en 1821 au ministre de la justice, que les membres des États Provinciaux étaient incapables de se servir de la « langue nationale »[2]. Les étrangers ne comprenaient pas l’obstination avec laquelle le gouvernement imposait une mesure irritante au lieu de laisser faire la liberté[3]. Vainement, les conseillers les plus avisés du roi s’attachaient à lui remontrer le péril d’une transformation trop rapide[4]. Sa confiance en lui-même le rendait sourd à leurs avis. La crainte même d’indisposer les libéraux, qui se recrutaient parmi la classe la plus francisée de la Belgique[5], ne le retenait pas. Il se disait sans doute que ses réformes en matière d’enseignement compenseraient à leurs yeux ses réformes linguistiques et qu’ils s’abstiendraient de soutenir contre lui l’opposition cléricale.

Les catholiques, c’est-à-dire la très grande majorité des Belges, ne protestaient pas seulement contre la conduite du gouvernement. Derrière le roi, ils visaient la Hollande. Les esprits étaient montés au point qu’à en croire les ambassadeurs étrangers, la constitution du royaume ne pouvait subsister telle quelle sans provoquer une catastrophe. Il était indispensable d’y substituer une séparation administrative qui, tout en

  1. Gedenkstukken 1815-1825, t. II, p. 593, 595.
  2. Ibid., p. 518, 519.
  3. D’après l’anglais Bagot « The attempt to force the dutch language upon the southern provinces appears to be so absurd, and is, in fact, so impossible, that it is scarcely to be supposed that the King should not be eventually compelled to abandon such a hopeless project ». Gedenkstukken 1825-1830, t. I, p. 51.
  4. Gedenkstukken 1815-1825, t. II, p. 422 et suiv., 520 et suiv. Cf. Keverberg, op. cit. t. I, p. 302.
  5. En 1829, de la Coste écrit au roi que, même dans les provinces flamandes, « Degenen die zich aan U. M.’s regeering meest verknocht toonen, meer gemeenzaam zijn met de fransche dan met de vlaamsche taal ». Gedenkstukken 1825-1830, t. II, p. 753.