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LES PARTIS ET LE GOUVERNEMENT

hésiter entre deux régimes dont l’un se réclamait de la souveraineté du peuple et des « immortels principes » proclamés par la Révolution, tandis que l’autre s’obstinait dans la tradition archaïque de l’absolutisme ? Aussi, les jeunes « jacobins » n’hésitaient-ils pas. La liberté telle qu’ils la comprenaient, c’était la liberté dans tous les domaines, affranchie de la tutelle de l’État, ne relevant que de la volonté des citoyens, égale pour toutes les opinions comme pour toutes les croyances. Le Globe, qui depuis son apparition en 1824 nourrissait la pensée de ces néo-libéraux, ne réclamait-il pas la liberté de l’instruction, apportant ainsi à l’Église le concours inattendu de l’avant-garde de ce parti qu’elle avait toujours considéré jusqu’alors comme son irréconciliable adversaire ?

La direction nouvelle du libéralisme belge s’explique, on le voit, par cette influence française que le roi lui-même avait, en matière politique, si imprudemment favorisée. Elle ne doit rien, quoi qu’on en ait cru, à l’enseignement des universités fondées en 1817. Sans doute, les jeunes libéraux, pour la plupart avocats ou gens de lettres, en avaient fréquenté les cours. Mais s’ils en avaient emporté des connaissances juridiques et des diplômes, ils n’en avaient reçu ni en tous cas conservé aucune de leurs idées. Les professeurs les plus éminents, un Schrant ou un Warnkoenig par exemple, avaient professé devant eux les principes de cet absolutisme éclairé contre lequel précisément ils s’insurgeaient. Le gouvernement avait pris soin de ne choisir que des maîtres dont les doctrines correspondissent à ses vues. Hollandais, Allemands ou formés à l’école de l’Allemagne, ils étaient tous, par origine ou par principe, aussi respectueux des droits de la monarchie qu’hostiles aux théories révolutionnaires et démocratiques. Ces savants et ces érudits s’abstenaient d’ailleurs pour la plupart de s’aventurer sur le terrain politique. Et l’objectivité même de leur enseignement l’empêchait d’avoir prise sur une jeunesse tout entière tournée vers l’action et qui sortait de leurs cours pour courir se griser de la lecture des journaux. En fait, les universités n’exercèrent aucune action sur l’esprit public. Leur rôle, dont elles s’acquittèrent consciencieusement, était de