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LES PARTIS ET LE GOUVERNEMENT

de Brouckère fut rejetée par 61 voix contre 44. Les députés du Nord votèrent contre elle à l’unanimité ; parmi ceux du Sud, sept seulement firent cause commune avec eux.

La constitution censitaire du royaume restreignait trop exclusivement l’action parlementaire au « pays légal » pour que la nation pût se ranger derrière ses députés et s’abandonner à leur direction. Ce n’était pas elle, c’était seulement la classe possédante qu’ils représentaient. Leurs discours et leurs journaux ne s’adressaient qu’à la bourgeoisie. Pour émouvoir les masses et les intéresser à la lutte, il fallait aller à elles, parler leur langue, exciter leurs sentiments et s’initier à leurs besoins, à leurs souffrances et à leurs mécontentements. Il le fallait d’autant plus que le seul moyen de faire capituler le gouvernement était de le placer en face d’une agitation populaire. Ce que voulait l’opposition, c’était avant tout une réforme parlementaire. Mais elle comprenait fort bien que, sans le concours de la nation, un parlement est incapable de se réformer, et c’est donc la nation qu’elle appela à la rescousse.

Elle se sentait capable de réussir parce que son programme tenait tout entier dans ce mot de liberté qui a toujours suffi à soulever les peuples. C’est au nom de la liberté que catholiques et libéraux avaient conclu leur alliance. C’est elle qu’ils invoquaient en faveur de leur politique comme en faveur de la nation. Par elle prendraient fin l’injuste subordination des Belges à l’égard des Hollandais, l’absolutisme qui pesait sur l’Église, sur l’enseignement et sur la presse, l’ostracisme dont les habitants du Sud étaient frappés au profit de ceux du Nord, les impôts odieux qui écrasaient de leur poids les ouvriers de Flandre et Wallonie. Son triomphe ferait disparaître à la fois tous les griefs et, les condamnant tous également, elle pouvait donc compter sur l’adhésion générale des mécontents, quelle que fût leur classe et quels que fussent leurs motifs de se plaindre. Grâce à elle, le combat de la bourgeoisie devenait celui du peuple. Elle allait faire marcher côte à côte avec l’avocat et le journaliste, le prêtre, le paysan et le prolétaire. Pauvres gens dont les impôts de l’abatage et de la mouture augmentaient la misère, croyants froissés dans leur foi religieuse et forcés de