Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/355

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
335
LA LETTRE DE DÉMOPHILE

l’antique conflit des Pays-Bas catholiques et des Pays-Bas protestants. C’est à peine s’il dissimulait l’accusation lancée contre ses sujets du Sud de pactiser avec la France comme les « malcontents » du XVIe siècle avaient pactisé avec l’Espagne.

Justifiant le mot de Bartels, cet « inviolable malgré lui »[1] aspirait plus que jamais à s’imposer. Le lendemain même de la lecture du message, une circulaire de van Maanen à tous les membres du Parquet, leur intimait l’obligation « d’admettre les principes du gouvernement de Sa Majesté », et exigeait leur réponse dans les quarante-huit heures[2]. L’hésitation n’était pas permise. Il fallait se déclarer pour le roi ou contre lui. L’opposition anti-ministérielle devait devenir, malgré elle, une opposition anti-monarchique.

La Belgique répondit au roi par la plume de de Potter. La Lettre de Démophile rendait à Guillaume la leçon qu’il avait donnée au peuple (20 décembre)[3]. C’était, disait-elle, un « mensonge odieux » et une « absurdité » que d’invoquer la Loi fondamentale en faveur de la monarchie tempérée. « Une loi fondamentale ne tempère rien : elle fonde. Avant elle, rien n’était ; depuis elle, tout est légitimement et ne l’est que par elle. Sans elle, rien ne serait et nous, Sire, nous faisons partie de ce tout, et l’État que nous composons avec vous et vous-même le faites également. Vous n’êtes, Sire, que par la Loi fondamentale et en vertu de la Loi fondamentale. Votre pouvoir, vos droits, vos prérogatives vous viennent d’elle et d’elle seule. Elle n’a pas tempéré notre monarchie : elle nous a fait ce que nous sommes, savoir : État constitutionnel représentatif, et dans cet État elle vous a, Sire, sous les conditions qu’elle exprime, fait roi. À nous, elle nous a prescrit nos devoirs de peuple réellement libre ». Et, après avoir conjuré le roi de « repousser avec indignation les lâches insinuations des perturbateurs du repos public qui ont l’impudeur de faire passer pour ses propres vues leurs principes désorganisateurs et les doctrines

  1. Bartels, loc. cit., p. 95.
  2. De Gerlache, op. cit., t. III, p. 180.
  3. Lettre de Démophile au roi sur le nouveau projet de loi contre la presse et le message royal qui l’accompagne (Bruxelles, 1829).