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JEMAPPES

armées les délivreraient du joug et leur apporteraient la liberté. Les Joséphistes même étaient furieux de ce qu’on ne leur eût pas « sacrifié tout le reste des habitants »[1].

Le pays, au surplus, regorgeait d’agents et d’émissaires français. Une habile propagande soutenait les espoirs des démocrates et leur gagnait de nouvelles recrues. Le peuple commençait à s’agiter et à s’enthousiasmer des réformes édictées par l’Assemblée législative. En 1791, Marie-Christine écrit à l’empereur que les idées subversives se répandent, que, dans le Luxembourg, des paysans protestent contre la dîme, qu’une fermentation dangereuse se propage et qu’elle s’attend à une insurrection[2]. Bruxelles vit dans la fièvre. La jactance des émigrés royalistes dont la ville regorge surexcite encore l’opinion en faveur du « système français ». La fameuse Théroigne de Méricourt, qui y passe au mois de décembre 1791, s’y vante tapageusement d’avoir vu l’empereur à Vienne et déclare qu’il applaudit « à ses principes et sentiments »[3].

À cela s’ajoute l’agitation entretenue de Lille, de Douai et de Paris par les réfugiés belges et liégeois qui ont fui le pays lors de la rentrée des troupes autrichiennes. Anciens soldats et officiers de l’armée brabançonne et de l’armée liégeoise, hommes politiques ou simples intrigants, ils s’efforcent de hâter le moment où les événements leur permettront de rentrer en vainqueurs dans la patrie. Entre eux, d’ailleurs, aucune entente. Vonck malade et désorienté par les progrès trop rapides des idées françaises, ne parvient pas à retenir sous son influence les partisans qui sont venus le rejoindre à Lille. Effrayé de leur hardiesse, il n’ose les suivre pour rester leur chef ; abandonné et aigri, il mourra tristement en exil le 1er décembre 1792. Van der Mersch, aussi dérouté que lui et débilité par une vieillesse prématurée, renonce à jouer un rôle qui l’effraye et finit par regagner, pourvu d’un sauf-conduit

  1. H. Schlitter, Briefe der Erzherzögin Marie-Christine an Leopold II., p. 157 (Vienne, 1896).
  2. Ibid., p. 159. Cf p. 165, 177, 181.
  3. Ibid, p. 211.