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LA BELGIQUE DE 1815 À 1830

des tentatives du roi en vue de relever la langue flamande de la déchéance où elle était tombée. Pour des gens accoutumés comme nous le sommes au déchaînement des passions linguistiques, le fait peut paraître étrange à première vue. Il s’explique pourtant très aisément. Ce n’est point l’intérêt du peuple, c’est uniquement l’intérêt de l’État qui provoqua les mesures du gouvernement. L’idée de faire appel au sentiment démocratique et à l’amour-propre des masses lui était complètement étrangère. Sa conduite n’eut d’autre mobile que le désir de combattre chez la bourgeoisie l’influence française et de l’ « amalgamer » à la bourgeoisie hollandaise en lui imposant l’usage de la « langue nationale ». Sa politique linguistique ne visait que le « pays légal ». Elle négligea les paysans et les ouvriers, chez lesquels elle aurait pu réussir, pour s’attaquer aux classes francisées qui devaient nécessairement y résister. Le clergé d’ailleurs ne manqua pas de la combattre. Il s’effrayait à l’idée que le calvinisme eût pu se glisser parmi ses ouailles en même temps que l’idiome du Nord. Pour conserver intacte son influence sur elles, il se cantonna plus obstinément que jamais dans le particularisme, et, opposant le flamand au hollandais, il excita contre ce dernier le sentiment national que le gouvernement prétendait justement se concilier.

Ce que le clergé fit par conviction catholique, la bourgeoisie le fit par intérêt. L’obligation imposée aux fonctionnaires et aux avocats de ne faire usage que de la « langue nationale » froissait trop d’habitudes, menaçait trop de gens en place ou en quête de places, était en contradiction trop flagrante avec les mœurs pour ne pas soulever de toutes parts des protestations. Évidemment la mesure était maladroite. Il eût suffi, comme le proposaient les esprits modérés, d’instituer la liberté des langues et de laisser faire le temps[1]. Mais ici, comme en tant d’autres occurrences, le roi ne voulut ni rien entendre, ni rien attendre. Ses plus fidèles partisans, cependant, les vieux libéraux, se recrutaient parmi la partie la plus

  1. Gedenkstukken 1825-1830, t. II, p. 709.