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LA SÉPARATION

il eût sans doute été possible de consolider l’État et de lui assurer un avenir aussi heureux pour lui-même que pour l’Europe. Au rôle international qui lui était dévolu pouvait correspondre une civilisation également internationale où serait venu confluer, comme au XVIe siècle, les grands courants de la pensée européenne : la française par l’intermédiaire de la Belgique, l’allemande par celui de la Hollande. Une tolérance largement humaine pouvait naître du rapprochement des catholiques du Sud et des protestants du Nord. Mais pour accomplir une œuvre aussi grandiose, le temps était indispensable. La précipitation gâta tout. Il aurait fallu essayer d’une lente accoutumance, d’une assimilation graduelle, d’une marche par étapes qui eût permis aux peuples de se comprendre et de se joindre dans la communauté des mêmes destinées. En la leur imposant prématurément on la rendit impossible, et son impossibilité conduisit à la rupture.

Sans doute, les premiers froissements ne parurent pas bien inquiétants. Aussi longtemps que l’opposition se confina dans le pays légal, le gouvernement en vint facilement à bout. Mais du jour où elle atteignit les masses, tout fut perdu. Ce n’était plus le fonctionnement du régime, c’était le régime lui-même qui se trouvait mis en question. Que les chefs du mouvement s’en soient nettement rendu compte, on en peut douter. Bien rares certainement étaient ceux qui, au commencement de 1830, se proposaient la destruction du royaume.

Les censitaires ne souhaitaient rien au delà d’une réforme constitutionnelle et parlementaire. S’ils étaient tous gagnés au principe de la responsabilité ministérielle, aucun d’eux n’en voulait la conquête par la violence. Leur conflit avec le roi était d’ordre purement politique ; leur loyalisme demeurait intact et leur agitation conforme aux lois. Leur lutte contre le gouvernement se confinait dans l’enceinte des États-Généraux. Ce petit groupe de privilégiés ne compte que sur lui-même. Les associations constitutionnelles qu’il organise pour agir sur les élections et diriger la propagande parmi la bourgeoisie respectent soigneusement la légalité. Les réunions de plus de vingt personnes étant interdites, elles se composent de