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LA SÉPARATION

en politiciens de cabarets (heethoofdige politieke tinnegieters). L’exaspération, avoue-t-il au ministre van Maanen, est générale, et « si Votre Excellence me demandait dans quelle classe de la population le gouvernement compte encore des partisans, je serais forcé de répondre dans aucune »[1]. Au sein du prolétariat industriel, l’effervescence provoquée par l’introduction récente de machines perfectionnées qui font appréhender aux ouvriers la perte de leur gagne-pain, favorise dangereusement les effets de l’excitation politique. Des symptômes menaçants annoncent des émeutes. Et brochant sur tout cela, une campagne dirigée de Paris s’ingénie à exploiter le mécontentement en faveur des projets d’annexion échafaudés par Polignac. Le ton des journaux français est inquiétant. Une brochure retentissante du général de Richemont démontre la nécessité pour la France de s’agrandir des Pays-Bas.

Ainsi, le trouble était partout. La Belgique, travaillée tout à la fois par une opposition constitutionnelle, par une opposition nationale et par les intrigues de l’étranger, semblait destinée à sombrer dans l’anarchie. En dépit de sa confiance en lui-même, le roi se sentait déconcerté. L’œuvre dont il était si fier s’écroulait sous ses yeux, et son insuccès le compromettait devant l’Europe. En vain, il avait essayé tout à la fois de la modération et de la violence. Ses concessions n’avaient été prises que pour des preuves de faiblesse ; ses rigueurs n’aboutissaient qu’à des provocations ou à des insolences. Des médailles étaient frappées en l’honneur des fonctionnaires révoqués[2], des acclamations saluaient les pamphlétaires condamnés par les tribunaux. De toutes parts et jusque parmi les industriels qui lui devaient leur prospérité, on lui rapportait des bravades insupportables. À Bruges, le président de la Chambre de commerce ayant refusé l’Ordre du Lion belgique, ses collègues lui avaient présenté en corps leurs félicitations[3].

  1. Gedenkstukken 1825-1830, t. II, p. 663.
  2. V. Tourneur, Catalogue des médailles du royaume de Belgique, t. I, (1830-1847), p. 2, 3 (Bruxelles, 1911).
  3. Archives Générales du Royaume. Chambres de commerce, n° 212.