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LE ROI EN FACE DE L’OPPOSITION

Malgré les procès de presse, les gazettes ne craignaient plus de parler haut et clair. La personne même du souverain était prise directement à partie, et en quels termes ! « Il ne faut qu’une minute, imprimait le Journal de Louvain (mai 1829), pour attacher une corde de chanvre à un cou royal. Il n’en a pas fallu plus pour attacher un Capet sur la planche de la guillotine »[1].

Pour être exceptionnel, ce langage n’en est pas moins significatif. Il est grave surtout parce que c’est le roi lui-même qui l’a provoqué. Par son obstination à soutenir, malgré l’unanimité de l’opinion, un ministre aussi odieux que van Maanen, il a jeté aux Belges un défi qu’ils ont relevé. Son message du 11 décembre l’a mis en conflit direct avec eux. De parti-pris, il s’est dénoncé comme l’organe de ce gouvernement personnel qu’ils s’accordent tous à combattre. Au lieu de laisser ses ministres le couvrir, c’est lui qui les couvre. Et comment échapperait-il désormais aux coups qu’on leur porte ? Il se fait gloire de s’y exposer couronne en tête et sceptre à la main. Les emblèmes de la monarchie sont devenus ses armes ; rien d’étonnant si on cherche à les lui arracher. Fidèle à la devise de sa maison, il est d’ailleurs bien décidé à « maintenir » ce pouvoir dont il a fait l’enjeu de la lutte. S’il le faut, il n’hésitera pas à recourir à un coup d’État et à violer cette Loi fondamentale que l’opposition l’accuse d’ailleurs de fouler aux pieds. Il fait pressentir à ce sujet le roi de Prusse et le tsar. Les fonctionnaires disent qu’en cas d’insurrection des troupes prussiennes entreront dans le royaume, et les démentis officiels ne persuadent personne[2]. En janvier 1830, le ministre autrichien écrit que le public est convaincu que le gouvernement veut provoquer des émeutes pour avoir un prétexte de changer la constitution[3].

En réalité, entre le roi et l’opposition, il n’y a plus de conciliation possible. On est dans une impasse : il faut que l’un ou

  1. De Gerlache, op. cit., t. II, p. 34.
  2. Gedenkstukken 1825-1830, t. I, p. 149, 174, 176, 179. Sur ces projets, voy. Ibid., p. 379, et H. T. Colenbrander, De Belgische Omwenteling, p. 148.
  3. Gedenkstukken, ibid., p. 329.