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INTERVENTION DES PUISSANCES

la France, mais elle affirmait encore, en face des souverains, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce fut une grande chose faite par un petit peuple. En confondant la cause nationale avec celle de la liberté politique, les Belges donnaient à leur insurrection une portée internationale. Le sort du libéralisme et du régime constitutionnel semblait dépendre de la lutte qu’ils avaient entreprise. Ce n’était pas seulement l’équilibre territorial, c’était aussi l’équilibre moral de l’Europe que leur insurrection mettait en jeu. Une fermentation menaçante ne faisait que trop clairement apparaître le péril. Des troubles éclataient dans les provinces rhénanes de la Prusse, en Suisse, en Italie ; la Pologne se préparait à prendre les armes.

Aux inquiétudes des vainqueurs de 1815 correspondait, en les accentuant, la joie de la France. Pour elle, la révolution belge était la revanche du Congrès de Vienne. La menace suspendue sur son territoire par l’érection du royaume des Pays-Bas s’évanouissait. Sans tirer l’épée, elle obtenait l’affranchissement de sa frontière du Nord et récupérait, si l’on peut ainsi dire, la liberté de ses mouvements. Qu’allait-elle faire ? L’idéalisme républicain et le souvenir de Napoléon qu’avaient réveillés tout ensemble les journées de juillet, allaient-ils de nouveau la dresser contre l’Europe dans un effort de conquête et de propagande ? La ligne du Rhin, qui avait tenté la monarchie légitimiste de Charles X, ne tenterait-elle pas aussi la monarchie libérale de Louis-Philippe ? À tout le moins, pouvait-on se demander si le cabinet de Paris n’avait pas partie liée avec les Belges et s’il ne considérait pas leur révolution comme un simple prélude de l’annexion.

On fut bientôt rassuré sur ses intentions. Visiblement, loin d’avoir suscité les événements de Bruxelles, il avait été surpris par eux. Son dessein était d’en profiter sans se laisser entraîner dans une guerre générale. Si Louis-Philippe ne pouvait, sous peine de trahir la France, tolérer la restauration du royaume des Pays-Bas, il était fermement décidé, d’autre part, à n’agir qu’avec le concert de l’Europe et à trouver un modus vivendi qui fût acceptable et par les libéraux auxquels il devait sa couronne et par les Puissances aux yeux desquelles il la légiti-