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LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE ET LE CONGRÈS

la charte de Louis-Philippe, par ménagement pour la couronne, n’a pas reproduit l’affirmation républicaine de la souveraineté de la nation. La constitution belge, au contraire, l’emprunte à la constitution française de 1789, mais en l’empruntant, elle l’accentue. Au lieu de dire « tous les pouvoirs émanent essentiellement de la nation », elle dit « tous les pouvoirs émanent de la nation », et cette suppression de l’adverbe rend la déclaration plus catégorique et plus absolue.

L’esprit républicain va de pair avec l’esprit démocratique. Sans doute, le Congrès n’a admis ni le suffrage universel ni l’appel au peuple. Il y voyait un danger pour la liberté, et les plébiscites de l’Empire ne justifiaient que trop ses appréhensions. L’indépendance de l’électeur lui a paru la condition primordiale du gouvernement libre. Il la garantit contre le pouvoir en organisant l’élection directe, et contre les tentations de la misère en la faisant reposer sur le bien-être. Visiblement, il ne conçoit pas que le pauvre puisse échapper aux atteintes de la brigue et de la corruption. Il va même si loin dans cette voie qu’il n’admet plus que l’instruction suffise à légitimer le droit de suffrage. Il en prive les « capacitaires » que le Gouvernement provisoire avait appelé à l’élire et il fonde exclusivement sur le cens, le droit électoral. Il suffit pourtant de lire ses délibérations pour se persuader qu’il n’a pas voulu confisquer le pouvoir au profit de la classe possédante. Aux yeux des constituants, la bourgeoisie apparaissait comme l’élite du peuple, comme un groupe ouvert à tous les travailleurs intelligents et économes, comme ce Tiers-État qui, affranchi par la Révolution, avait le droit de représenter la nation puisqu’il en rassemblait dans son sein les forces vitales et qu’il était accessible à tous. Ce n’est certainement pas par sentiment conservateur que les jeunes idéalistes soucieux de baser la constitution sur la liberté ont restreint le suffrage : c’est par sentiment civique. Autant ils redoutaient la « populace », autant ils faisaient confiance au peuple. Ils se crurent d’autant plus autorisés à agir comme ils le firent, que le peuple ne réclamait pas le droit de vote. Son indifférence lors de la démission de de Potter venait tout récemment de le prou-