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JEMAPPES

d’un seul coup l’armature non seulement de ses nouvelles institutions, mais de ses institutions anciennes est jetée par terre. Comment la nation pourra-t-elle vivre en l’absence de tout service public, et est-il rien de plus cruel et de plus insensé que de la livrer à cette « puissance désorganisatrice » qui va disposer d’elle ? Enfin, entre l’autorité militaire et l’autorité des commissaires de la Convention, doit nécessairement éclater un conflit insoluble.

Dumouriez ne peut tolérer une mesure prise en dépit de ses objurgations et qui, aux yeux des Belges, le met en contradiction avec lui-même[1]. Ne leur a-t-il pas promis de les laisser libres de choisir leur gouvernement et se résignera-t-il à passer auprès d’eux pour un imposteur ? Voudra-t-il surtout consentir à la ruine du plan que son ambitieuse imagination a échafaudé en spéculant sur leur indépendance ? Afin de détourner le coup qui le menace, il tente un suprême effort pour constituer la République belge.

Dès le 14 décembre, il déclare que le « peuple français ne veut traiter avec le peuple belge que de souverain à souverain ». Il ordonne de procéder sans retard à des élections. Des assemblées primaires, une par deux cents maisons, désigneront au suffrage universel les électeurs chargés de nommer les membres d’une Convention nationale qui se réunira à Alost[2]. Les généraux sont chargés de distribuer partout des convocations et la date des élections est fixée au 10 janvier. Mais cette suprême tentative se heurte, une fois de plus, à l’obstination conservatrice des « statistes ». À Bruxelles, le 29 décembre, ils se rassemblent spontanément et protestent de ne reconnaître d’autre juge suprême que le Conseil de Brabant et d’autres représentants du peuple que les trois États.

Le décret du 15 décembre devait entrer en vigueur le 1er  jan-

  1. Pour ses démarches contre le décret, voy. A. Chuquet, La trahison de Dumouriez, p. 2 et suiv. (Paris, 1891).
  2. Il avait voulu d’abord désigner Bruxelles, mais il avait dû y renoncer à la suite des protestations des Gantois qui proposèrent, faute de leur ville, Alost ou Termonde. Voy. sur cet épisode caractéristique du particularisme provincial le journal gantois contemporain Vader Roeland, n° 8.