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LES ALLIÉS ET LA FRANCE

Or, les catastrophes qui fondaient sur elle n’avaient même pas abattu la superbe confiance de la République. Dès le 13 avril, un décret de la Convention déclarait les « pays réunis » partie intégrante du territoire et affirmait qu’elle ne les abandonnerait jamais aux « tyrans avec lesquels elle était en guerre », proclamant ainsi, avec une assurance grandiose, au moment même où elle était contrainte d’évacuer la Belgique, sa résolution de la reprendre et en pleine défaite prédisant sa victoire.

Pourtant si les alliés, se hâtant de profiter des circonstances, avaient marché droit sur Paris après la trahison de Dumouriez, le désarroi, sinon le découragement de l’ennemi, leur eût peut-être permis d’atteindre au but. Mais d’accord pour écraser la France, chacun d’eux se préoccupait tout d’abord, avant d’entrer en campagne, des avantages qu’il en rapporterait. À la différence de la République, ils ne combattaient point pour la vie. La divergence de leurs intérêts les empêchait de s’unir en une cause commune et ils se proposaient beaucoup moins d’abattre la Révolution que de s’en servir. Les conférences qu’ils ouvrirent à Anvers au mois d’avril 1793, se traînaient dans le conflit des ambitions et des jalousies[1]. L’Autriche, inquiète des progrès de la Prusse en Pologne, réclamait des compensations. Elle parlait de Cracovie et de la Bavière beaucoup plus que de la Belgique. Pour qu’elle se décidât à la conserver, il fallut que le cabinet de Londres lui promît, avec les départements du Nord, la ceinture des forteresses construites par Vauban, qui serviraient désormais de défense aux Pays-Bas après les avoir menacés si longtemps. Exception serait faite pour Dunkerque, l’Angleterre se réservant cette base militaire dont elle n’avait cessé, depuis 1662, de déplorer la perte. De vagues assurances d’agrandissement furent données au stadhouder de Hollande, et chacun, pourvu d’espérances proportionnées à ses appétits, ne pensa plus qu’à se tailler sa part dans le démembrement de l’ennemi de tous.

  1. Sur ces négociations, voy. A. Sorel, L’Europe et la Révolution française, t. III et IV. Add. P. Verhaegen, La Belgique sous la domination française, t. I, p. 194 et suiv.