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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/78

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FLEURUS

Après Jemappes, Dumouriez s’était présenté aux Belges avec des manifestes, des discours et des effusions. Plus rien de tel après Fleurus. Jourdan et Pichegru ne sont pas des libérateurs : ce sont des vainqueurs. Ils ne parlent pas, ils agissent et ils agissent conformément aux ordres des représentants en mission qui les accompagnent pour les diriger et les surveiller. Et ces représentants évitent le contact de la nation avec le même soin qu’ils mettaient deux ans plus tôt à le rechercher. Évidemment le mot d’ordre leur a été donné de traiter le pays en pays conquis. Des vœux de réunion qu’elle a provoqués et acceptés quelques mois plus tôt, la Convention ne se souvient plus. Elle a oublié sa promesse de traiter les « pays réunis » comme parties intégrantes de la République. Le régime que le Comité de Salut Public a décidé d’imposer aux Belges est un régime d’occupation militaire tel qu’ils n’en ont encore jamais vu, eux qui pourtant en ont tant vus.

Jusqu’alors, en effet, l’invasion du pays n’avait entraîné que sa mise sous tutelle. L’administration restait confiée aux indigènes sous la surveillance de l’étranger. Des « capitulations » réglaient les rapports des autorités nationales avec le pouvoir occupant[1]. Pourvu qu’elles s’abstinssent d’entraver ses mouvements et qu’elles se soumissent à ses réquisitions, il les laissait en place, et les habitants, en présence même de leurs vainqueurs, conservaient l’impression d’être chez eux. Il en avait été ainsi sous le régime de la « Conférence », avant la paix d’Utrecht et plus tard pendant l’occupation française avant la paix d’Aix-la-Chapelle. Si Dumouriez, en 1792, avait bouleversé l’organisation du pays, du moins n’avait-il appelé que des Belges à le gouverner. Les commissaires de la Convention eux-mêmes, en imposant au peuple ses vœux de réunion, avaient reconnu son indépendance, car c’était l’admettre que de lui demander d’y renoncer.

Il en alla tout autrement après Fleurus. Le Comité de Salut Public était décidé à exploiter à fond sa victoire, à appliquer

  1. Voy. à cet égard l’ouvrage d’I. Lameire, Théorie et pratique de la conquête dans l’ancien droit (Paris, 1903 et suiv.).