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FLEURUS

La fermeture des frontières, le cours obligatoire des assignats, le maximum, les réquisitions, les contributions et le pillage avaient étouffé les derniers restes de son activité économique. Les affaires étaient paralysées, les ateliers se fermaient, les marchés n’étaient plus approvisionnés. L’agiotage et le commerce clandestin accaparant les subsistances, la misère publique allait croissant par la spéculation qu’elle suscitait. Dès le mois de novembre, il fallait obliger les municipalités à créer des greniers d’abondance, supprimer la fabrication du genièvre et de l’amidon, restreindre celle de la bière. Un hiver précoce et rigoureux aggrava encore la détresse. En décembre, on dut ouvrir des ateliers de charité, distribuer des cartes de pain. Des gens mouraient de faim. Des troubles éclataient dans le Luxembourg. Les représentants écrivaient en février 1795 que « la Belgique est épuisée, ses habitants réduits au désespoir ». Naturellement les sans-travail et les vagabonds deviennent un danger public : on calcule à Verviers en 1794 que la ville renferme 5,548 indigents sur 13,897 habitants[1]. Les brigands infestent les routes, attaquent les maisons isolées : on commence à colporter ces histoires de garotteurs, de chauffeurs, de branders qui, pendant si longtemps, restèrent l’entretien des veillées campagnardes. La classe populaire, à laquelle la Révolution avait fait tant de promesses, est naturellement la plus cruellement atteinte par cette misère. Son esprit est si mauvais que les Français craignent une insurrection.

Ils s’inquiètent aussi des agissements « d’une foule de déserteurs autrichiens qui tâchent de fomenter des troubles »[2]. En vain s’adressent-ils au dévoûment des Belges et les exhortent-ils à faire des sacrifices qui les rendent dignes « de la liberté et de la confiance de la République », personne ne les écoute. Sous l’aiguillon de la faim, le mécontentement général s’exaspère en sens divers. Les restrictions apportées à la liberté du culte, l’impiété affichée par les soldats et les fonctionnaires, l’enlèvement des tableaux, des livres, des manuscrits, le boule-

  1. J’emprunte ce renseignement aux archives de la ville de Verviers.
  2. Arrêtés, p. 409.