Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 7.djvu/114

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était leur œuvre commune et qui, par une fortune extraordinaire, se trouvait répondre également à l’idéal particulier de chacun d’eux. Ce qu’ils avaient voulu avec la même énergie, c’était la création d’un État qui, leur prodiguant toutes les libertés et leur en garantissant l’exercice, leur permît de part et d’autre de travailler à la réalisation de leurs desseins dans des conditions d’égalité parfaite et de concurrence loyale. Ni l’un ni l’autre n’avaient cherché à s’assurer l’avantage sur son adversaire. Au Congrès, malgré leurs répugnances réciproques, les libéraux avaient concédé aux catholiques la liberté de l’enseignement, et les catholiques, la liberté de la presse aux libéraux. En somme, la constitution était un pacte contracté entre des tendances rivales, dans un esprit si large et l’on pourrait presque dire si sportif, qu’il accordait à chacune d’elles une complète égalité de chances lorsque sonnerait l’heure de la lutte.

Aussi longtemps que la préoccupation dominante avait été de sauvegarder l’existence même de la nation, l’intérêt commun avait imposé aux Chambres, comme au pays, l’attitude d’entente patriotique que l’on désigne sous le nom d’unionisme. Mais il était fatal que du jour où les traités de 1839 auraient garanti définitivement l’avenir, les forces antagonistes délivrées du poids qui les avait comprimées jusqu’alors en arriveraient, par le fait même de leur expansion si longtemps contenue, à entrer en conflit. Déjà des symptômes significatifs avaient révélé plus d’une fois au sein du Parlement, une tension dangereuse. À chaque session, le budget des cultes et celui de l’enseignement donnaient lieu à des discussions passionnées. Au reproche « d’obscurantisme », les catholiques répondaient en stigmatisant « l’athéisme des écoles publiques ». Par prudence le roi empêchait Rogier de présenter aux Chambres un projet de loi sur l’instruction, et Lebeau, en 1833, refusait d’aborder la question tant « que la dernière sanction de notre nationalité dépendra de notre union et peut-être d’événements en dehors de toute prévision humaine »[1]. Ainsi, le feu

  1. L. de Lichtervelde, Léopold Ier, p. 128.