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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 7.djvu/185

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ses vœux, il sentait bien qu’un pays comme le sien ne pouvait la supporter avec succès qu’en compensant par les avantages de son organisation interne ce qui lui manquait en puissance militaire, en flotte de commerce et en territoires d’exportation. Produire à bon marché pour pouvoir vendre au dehors était ici la nécessité primordiale. Mais la production à bon marché dépendant elle-même de la constitution économique de l’État, il fallait donc que celle-ci pût la garantir. La solidité financière en était une condition indispensable. La crise de 1848 avait prouvé l’insuffisance des institutions de crédit en mettant à deux doigts de leur perte et la Société Générale et la Banque de Belgique. La création de la Banque Nationale, le 5 mai 1850, para au retour de ce danger. « Chargée exclusivement d’opérations utiles au pays », elle a pour but de régulariser le crédit et d’aider aux opérations de trésorerie de l’État sans pouvoir elle-même ni emprunter ni se livrer au commerce et à l’industrie.

Dotée du monopole d’émettre des billets de banque et pourvue des attributions de caissier de l’État, qui contrôle son activité sans la soumettre à son ingérence, elle complète l’organisation financière qu’avait si heureusement inaugurée en 1822 la fondation de la Société Générale. Ainsi, en dépit de l’opposition de leurs principes, Frère-Orban continuait l’œuvre de Guillaume Ier, tant il est vrai que le libre-échange ne peut en somme se développer que sous la direction de l’État.

Et c’est là sans doute ce qui explique les accusations de socialisme lancées contre le ministre par ses adversaires[1]. Ils voyaient très bien que ce libéral était au fond un autoritaire. Homme de gouvernement avant tout, il n’était si attaché à la liberté que parce qu’à ses yeux elle se confondait avec l’intérêt de la nation et plus encore avec celui de l’État, et il l’eût volontiers imposée à coups de décrets. Sa proposition en 1848 d’imposer les successions en ligne directe parut une atteinte insupportable à la propriété et un impôt hideux « frappé sur le deuil des familles ».

  1. P. Hymans, Frère-Orban, t. I, p. 259 et suiv.