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Page:Pirenne - De la méthode comparative en histoire, 1923.djvu/7

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veau fait qui nous apporte la succession ininterrompue des événements est pour nous l’analogue de ce que, pour l’expérimentateur, est la découverte d’un nouveau phénomène de la nature. Or, l’importance de ces faits est éminemment variable. Il en est qui sont tellement considérables, tellement chargés, si l’on peut ainsi dire, de signification, tellement en contradiction avec notre attente, tellement incompatibles à nos prévisions ou à nos hypothèses, qu’ils nous forcent de soumettre à la critique les théories ou les méthodes qu’ils ont désorientées. La convulsion par laquelle vient de passer le monde a été pour les historiens ce qu’un cataclysme cosmique serait pour un géologue. La société a été si profondément bouleversée qu’elle s’est révélée sous des aspects nouveaux, qu’elle a posé des problèmes inattendus et démontré l’insuffisance de bien des solutions. Même au point de vue de la technique de notre science, que de questions ne soulève-t-elle pas ! Il me suffira de mentionner ici celles qui concernent l’authenticité, l’interprétation et la conservation de cette multitude de documents écrits ou figurés que recueillent de toutes parts les archives et les musées de la guerre. Nous leur avons consacré une section spéciale du Congrès et je n’entends point anticiper ici sur ses travaux. Je voudrais seulement vous soumettre quelques réflexions d’ordre tout à fait général touchant certains enseignements qui me paraissent découler des événements dont nous avons été les témoins.

Durant tout le cours de la guerre, les belligérants ont mis particulièrement deux sciences en réquisition : l’histoire et la chimie. Celle-ci leur a fourni des explosifs et des gaz ; celle-là, des prétextes, des justifications ou des excuses. Mais leur sort a été bien différent. La nécessité imposée à la chimie ne contrariant point sa nature, elle a pu, tout en servant les armées, faire de précieuses découvertes. L’histoire, au contraire, en se jetant dans l’arène y a perdu trop souvent ce en quoi consiste son essence même : la critique et l’impartialité. Il lui est arrivé de se laisser emporter par la passion, de défendre des thèses, de ne plus se soucier de comprendre et de se subordonner aux mili-