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stituer, par leur agglomération, ses principautés féodales. Peut-être, s’il avait fallu résister à une invasion, se fût-elle groupée autour de la couronne. Mais depuis l’établissement des Normands sur la côte en 911, la France n’a pas d’ennemis extérieurs. Les grands se désintéressent tout à fait de la Lotharingie, dont la possession n’est qu’une question dynastique. Le roi y tient surtout pour accroître sa puissance, laquelle ne s’exerce plus, en fait, que sur ses derniers domaines et sur ses derniers vassaux du pays de Laon. Il ne peut plus rien par lui-même à l’intérieur. Veut-il diriger une entreprise contre un de ses vassaux, il est obligé, pour le pouvoir, de s’allier à un autre[1]. Lothaire essaye vainement d’empêcher le comte de Flandre, Arnould, de s’avancer au sud de la Lys. La fidélité de ses vassaux se fait de plus en plus douteuse. En 922, une partie d’entre eux, abandonnant Charles le Simple, nomme roi Robert de Paris, tué l’année suivante. On le remplace par le duc Raoul de Bourgogne et Charles le Simple meurt en captivité. Sous Louis V, Hugues le Grand, fils de Robert, est tout puissant. C’est à lui que le roi a dû son élection. Aussi prétend-il le mettre en tutelle. Bientôt il se révolte ouvertement contre son autorité, et il faut qu’Othon Ier d’Allemagne vienne au secours du roi légitime pour lui conserver sa couronne (946). Tout naturellement le roi de France a donc dû chercher à se refaire une puissance en tournant ses efforts vers l’extérieur. A l’intérieur s’il parvient à se maintenir, c’est non à cause de sa force, comme le roi d’Allemagne, mais à cause de sa faiblesse. On recourt toujours à lui parce qu’il n’est pas dangereux et le plus puissant vassal à intérêt à s’appuyer sur lui pour empêcher d’autres féodaux de se dresser en concurrents de son autorité.

A la mort de Louis V, et en l’absence d’un héritier carolingien possible — le duc de Lotharingie Charles, dernier représentant de la dynastie, n’étant pas accepté par l’aristocratie de la France — l’élection de Hugues Capet (Ier juin 987) s’imposait par les traditions de sa famille ; deux de ses ancêtres avaient été rois et l’archevêque de Reims Adalbéron le soutenait. Avec son accession au trône une nouvelle dynastie commençait qui allait durer sept cents ans et prendre l’hégémonie en Europe. Rien ne l’indiquait. La nomination de Hugues Capet est une grande date, mais ce n’est pas un grand fait. Rien ou presque rien n’était changé. On avait

  1. Par exemple à la Flandre contre les Normands.