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déjà nommé des rois Capétiens, le fait n’était donc pas nouveau. La conception de la royauté ne s’en trouvait point modifiée. Il serait tout à fait faux de croire que Hugues et ses successeurs se soient fait du pouvoir royal une autre idée que les derniers Carolingiens. Rien n’est changé, ni dans le titre, ni dans les emblèmes royaux, ni dans l’organisation de la Cour. Le roi est toujours l’oint de l’Église, il se considère toujours comme le gardien temporel de l’ordre et le protecteur de l’Eglise. L’idéal carolingien est l’idéal royal, il n’y en a pas d’autre. Bien plus, le pouvoir royal n’a que des limites de fait. Personne, sauf l’Église, ne pourrait dire où il doit s’arrêter. Tout dépend de la force du roi et de l’aristocratie. C’est une question de doigté de savoir jusqu’où peut aller la puissance royale. Et les Capétiens ont accepté la situation. Ce ne sont pas du tout des rois féodaux en ce sens qu’ils auraient considéré leur pouvoir comme légalement restreint par celui de l’aristocratie. Non. Ils sont seulement des opportunistes qui sentent jusqu’où ils peuvent aller. Ils le sentent mieux que les Carolingiens pour deux motifs. Le premier c’est qu’avec eux la royauté est devenue purement élective. Elle l’était devenue déjà sous les Carolingiens, il est vrai, mais tout de même ils formaient une dynastie. Les Capétiens, au contraire, doivent en créer une. C’est ce qui leur dicte leur politique : ils veillent à ne pas mécontenter les grands, à ne pas les rendre méfiants. Ils évitent toute difficulté à l’intérieur et aussi à l’extérieur. C’est pourquoi les Capétiens laissent tomber la question lotharingienne. Ils se contentent de vivre et de laisser chaque fois, par bonheur, un héritier qu’ils font élire de leur vivant. Pour eux comme pour les premiers Othons, l’hérédité s’établit ainsi en fait ; mais si en Allemagne, elle s’impose par le prestige de la force, en France elle s’insinue par la faiblesse.

Les premiers Capétiens se terrent, sans aucun amour-propre. Philippe Ier, battu par le comte de Flandre, Robert le Frison (1071), se réconcilie avec lui et épouse sa belle-fille. Les rois ne s’appuyent que sur leur propre domaine de Paris, d’Amiens, d’Orléans et de Bourges. Ils ne peuvent constituer de principautés ecclésiastiques comme les Othons ; les grands laïques ont tout absorbé. Ils laissent faire. Et c’est l’Église, et non le roi, qui organise les « paix de Dieu ». Ils se contentent de prendre part aux fêtes et assemblées des grands, de donner des diplômes aux abbayes. Ils sont si modestes qu’ils n’ont pas d’historiens. Ils épousent de simples princesses. Ils ne sortent pas de chez eux. On ne les voit pas. Ils ne reçoivent ni