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n’envoyent d’ambassades. Robert le Pieux, le fils d’Hugues (946-1031) refuse la couronne d’Italie que lui offrent les grands de Lombardie. Henri Ier (1031-1060) laisse l’empereur Conrad II s’approprier le Royaume de Bourgogne. Philippe Ier (1060-1108} ne fait pas davantage parler de lui. Mais ils durent et ils s’implantent. En même temps leur résidence, Paris, qu’ils ne quittent guère, devient peu à peu une capitale. C’est la première que l’Europe ait connue. Jusque-là les rois ont été errants. Ceux-ci, princes territoriaux, se fixent et donnent un centre au pays. Il n’y avait aucun motif pour que Paris fut la capitale de la France. Elle l’a été parce qu’elle était la résidence des Capétiens.

Aussi, tandis que les rois allemands, fortifiés par la robustesse d’une société primitive, dépensent et usent leurs forces dans les entreprises grandioses et emplissent la chrétienté de leur nom, mais sans s’attacher au sol, les rois de France, au milieu d’une société plus avancée qui restreint leur pouvoir, humbles et modestes, bâtissent tranquillement et obscurément pour l’avenir. Comparés à leurs contemporains d’Allemagne, démesurés et poétiques, ils sont prosaïques et pratiques. Ce sont des gens de bon sens, qui connaissent leurs forces et qui se fortifient insensiblement. Et lorsque, sous Louis VI, fils de Philippe Ier, une ère de périls va s’ouvrir avec la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant (1066), la royauté se révélera comme déjà suffisamment affermie, pour affronter la lutte qui, désormais, va dominer l’histoire à toutes les époques.


CHAPITRE III

LA FÉODALITÉ

I. – La désagrégation de l’État

On désigne habituellement sous le nom de « féodal » le système politique qui a régné en Europe après la disparition de l’État carolingien. Cette habitude remonte à la Révolution française qui a indistinctement mis à charge de la féodalité tous les droits, privilèges, usages et traditions qui s’opposaient à la constitution de l’État et de la société modernes. Pourtant, à prendre les mots dans leur sens exact, on ne peut entendre sous les noms de