Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/240

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bourgeois se composait de petits entrepreneurs, de maîtres artisans, bref de cette classe moyenne aussi hostile au capitalisme qu’au communisme.

D’ailleurs, l’Église apporta tous ses soins, depuis la fin du xiie siècle, à poursuivre et à combattre l’hérésie. Elle tolérait les Juifs parce qu’ils étaient en dehors d’elle ; elle ne tolérait pas les hérétiques, dans lesquels elle voyait, si l’on peut employer cette expression, des coupables de lèse-majesté spirituelle. S’ils refusaient d’abjurer leurs doctrines, elle les retranchait de sa communion, puis, les ayant ainsi frappés quant à l’âme de la peine capitale, les livrait au pouvoir séculier qui se chargeait d’anéantir leur corps. Cette division du travail répondait parfaitement à la conception qui alliait l’Église à l’État, tout en réservant à chacun son domaine, les âmes à la première, les corps au second. Avant le xiiesiècle, on surprend ça et là dans le haut clergé, l’expression de doutes sur la légitimité de la peine de mort appliquée aux hérétiques. On ne trouve plus rien de tel depuis que l’Église est arrivée sous le pontificat d’Innocent III à sa majestueuse et puissante unité. Ici encore se manifeste l’esprit juridique et gouvernemental dont s’imprègne la constitution ecclésiastique. L’orthodoxie, devenue un corps de doctrine qui s’impose à tous les hommes et à toutes leurs actions, ne peut plus permettre de dissidences et toute opinion singulière, toute déviation de la norme devient un crime. L’ordre des Dominicains, fondé en 1216, se livre particulièrement à la poursuite et à l’examen des hérétiques. A côté de l’antique inquisition épiscopale apparaît l’inquisition pontificale créée par Grégoire IX en 1233, espèce de police universelle appliquée à la sécurité du dogme. Et l’autorité laïque lui apporte avec empressement son concours. Le principe de la religion d’État lui fait considérer comme criminel quiconque se met en dehors de l’Église. Les rois d’ailleurs ne tiennent-ils pas leur pouvoir de Dieu et ne sont-ils pas les protecteurs de celle-ci ? C’est tout au plus si dans les villes le sentiment civique s’oppose inconsciemment non sans doute à la foi, mais aux conséquences que son abandon entraîne. Çà, et là seulement, se manifestent bien faiblement les premiers symptômes de l’indépendance de la société laïque à l’égard de la société religieuse.