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II. — La politique des papes


On dit souvent que le xiiie siècle a été une théocratie. Il se faut entendre. Si on appelle théocratie un état de choses dans lequel Église jouit d’un prestige incomparable et où personne n’échappe à son ascendant moral, sans doute le xiiie siècle a été une théocratie. Mais il ne l’a pas été si la théocratie consiste à remettre à l’Église elle-même la direction et le gouvernement des intérêts politiques[1].

Ce n’est que là où un souverain s’est trouvé donner sur lui barre au pape, comme l’a été Frédéric II, que le pape l’a privé de son pouvoir. Mais il ne faut voir en cela qu’une ultime conséquence des rapports de la papauté et de l’Empire et de la vassalité de la Sicile. Partout ailleurs, si les rois sont des fils soumis de l’Église, ils veillent très soigneusement à l’empêcher d’intervenir dans leurs propres affaires. Sans doute, il y a peu d’événements politiques entre la fin du xiie siècle et le commencement du xive siècle où les papes ne soient intervenus. Seulement ils n’y interviennent pas en maîtres ; ils s’y associent ou s’y opposent à titre de puissance particulière et pour autant qu’ils y trouvent intérêt pour leur propre politique. Ils ont, il est vrai, une arme terrible : l’excommunication, mais elle s’émousse par ses abus.

Car les papes ont leur politique propre, tout à la fois en tant que chefs de la catholicité et en tant que souverains italiens. Elles se confondent souvent ; pourtant elles sont distinctes.

La vraie politique pontificale, c’est la politique de l’Église telle qu’elle résulte de la mission universelle de celle-ci. Elle se résume en une double action : la Croisade et l’union de l’Église grecque, si souvent confondues l’une avec l’autre qu’il n’est pas toujours facile de les séparer. Déjà, Urbain II avait pensé à mettre fin au schisme à la faveur de la première Croisade. Elle n’aboutit au contraire qu’à le rendre plus tenace par l’antipathie qu’elle suscita entre les Grecs et les Latins. La situation de ceux-ci en Orient était d’ailleurs si précaire qu’elle rendait nécessaire, en 1143, la seconde Croisade qui, prêchée par Saint Bernard, provoqua un

  1. Théoriquement les papes visent à la théocratie, quoique, en fait, ils n’y soient pas arrivés, mais on leur reconnaît et en tous cas ils s’attribuent une sorte de pouvoir arbitral suprême, contre lequel il y a d’ailleurs des résistances, sans conflit ouvert.