Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/242

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élan de mysticisme comparable à celui de la première. Cependant, quoique provoquée par le pape, elle n’obéit pas aussi complètement à sa direction que l’avait fait l’expédition toute féodale de 1098. Le roi de France, Louis VII, et le roi d’Allemagne, Conrad III, y prennent part et, si effacé qu’y ait été leur rôle, il indique pourtant que Rome doit compter désormais avec les puissances politiques de l’Occident. Au reste, le but poursuivi ne fut pas atteint. Les établissements des croisés en Syrie ne furent pas sauvés des dangers qui les menaçaient. Quelques années plus tard, Saladin s’emparait de Jérusalem et il fallut appeler de nouveau l’Occident vers le tombeau du Christ. La troisième Croisade mit en scène trois chefs d’État : Frédéric Barberousse, Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion. Le premier y mourut sans avoir réussi à relever comme il l’espérait le prestige de l’Empire, les deux autres se contrecarrèrent, se quittèrent pleins de rancune et sans avoir abouti à rien. L’expérience était concluante. Il était sûr désormais que la Terre Sainte ne serait pas reconquise et que les ambitions terrestres se mêlaient de plus en plus fâcheusement à la guerre sainte ou « guerre sacrée ». Henri VI, pendant son court règne en Sicile, n’avait-il pas pensé à une croisade, si l’on peut ainsi dire, toute temporelle et dans laquelle il ne voyait que l’extension de son pouvoir dans la Méditerranée. Innocent III conservait pourtant l’idéalisme chrétien et préparait une nouvelle expédition qu’il destinait à attaquer l’Égypte, base de la puissance des Fatimides. Cette fois, les rois en avaient assez. Leurs affaires les retenaient chez eux. Ce furent des princes des Pays-Bas, de Champagne, de Blois, qui marchèrent. Mais les Vénitiens qui tenaient la flotte et dont les services n’avaient pas été entièrement payés (les expéditions deviennent plus coûteuses et la noblesse est ruinée) détournèrent les croisés contre Zara, ville chrétienne qui gênait leur commerce dans l’Adriatique. Le pape les excommunia, mais en vain. A Zara, Alexis l’Ange, beau-frère de Philippe de Souabe, ennemi du pape, fils d’Isaac Angelos, que venait d’aveugler et de détrôner son frère Alexis III, les pria de marcher sur Constantinople promettant l’union de l’Église grecque. Le pape s’opposa à ce détour, se défiant d’un parent des Hobenstaufen. Pourtant, on passa outre ! Ainsi Rome ne gouverne plus. Le 23 juin 1203, la flotte est devant Constantinople et remet Isaac sur le trône. Mais la haine des Grecs pour les croisés qui ont rétabli l’empereur provoque une révolte. Le peuple nomme le vaillant Alexis Ducas Mourtzouphlos empereur. Il rompt avec les Latins