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(sauf d’honorables exceptions en Gaule et en Bretagne), chez les provinciaux, que d’hostilité pour eux chez les Germains. Un peu de mépris peut-être et un peu de respect. D’ailleurs on ne savait pas trop si les Germains n’étaient pas des soldats de l’Empire.

Et puis, les Germains, comme les Romains, étaient chrétiens.

Et, s’ils pénétraient en vainqueurs dans l’Empire, ils s’y soumettaient à l’Église, qui confondit, sous son autorité, Germains et Romains.

Le christianisme qu’ils professaient fut certes une des causes essentielles de leur rapprochement immédiat avec les populations des pays conquis, et il paraît certain que, si les barbares abandonnèrent aussi facilement leurs langues nationales, c’est que la langue de l’Église était le latin.

Les Germains ne cherchèrent pas d’ailleurs à se superposer aux Romains ; ils se juxtaposèrent à eux. Dans le sud de la Gaule, les Wisigoths s’établirent suivant les principes appliqués pour le logement des armées romaines (la tertia), d’après lesquels le tiers de la demeure de l’habitant devait être mis à la disposition du soldat. On étendit la mesure aux terres, l’occupation étant désormais permanente, et il se fit paisiblement une espèce d’expropriation sur laquelle on est d’ailleurs fort mal renseigné. Dans le nord de la Gaule, les nouveaux venus furent casés sur les domaines du fisc ou sur des terrains non occupés. Quant à la condition juridique des personnes, elle resta de part et d’autre ce qu’elle était. Germains et Romains continuèrent à vivre conformément à leur droit national, conservant chacun leurs coutumes spéciales en matière de propriété, de famille, d’héritage. La « personnalité » du droit se substitua à la « territorialité » qui ne reparut, la fusion des deux peuples étant complète, que dans le courant du ixe siècle.

Cet entrelacement de deux nationalités distinctes mais égales excluait évidemment la possibilité d’appliquer à la plus nombreuse et à la plus civilisée les institutions politiques de l’autre. Aussi bien, ces institutions, applicables à la vie barbare, ne l’étaient plus au nouvel état de choses dans lequel les Germains venaient d’entrer. Elles tombèrent d’elles-mêmes sans que personne songeât à les relever.

Rien ne montre mieux la transformation qui s’opère à cet égard, dans le courant du ve et du vie siècle, qu’un coup d’œil sur la situation de la royauté.