Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/294

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pour eux celui de monter au gibet. Aussi, pour conserver la faveur royale, rivalisent-ils de zèle et n’épargnent-ils personne. Sans préjugés de classe, hostiles aux privilèges de la haute noblesse qui les méprise, ils travaillent de tout cœur à fonder l’absolutisme et leur conviction est en ceci d’accord avec leurs passions et leur intérêt, car l’étude du droit romain leur a montré dans l’absolutisme la vérité politique. Ils sont secs, cassants, ironiques, impitoyables. Ce n’est pas le roi qui parle par leur bouche, mais la royauté anonyme, supérieure à tout, courbant tout sous son pouvoir, et dont ils se font les auxiliaires avec une joie triomphante, fiers de voir les plus grands seigneurs rechercher leur protection et passer publiquement pour leurs créatures. Rien d’étonnant si, maniée par eux, la politique de Philippe le Bel se caractérise par la violence froide et l’absence complète de scrupules. La considération exclusive de l’intérêt de la couronne s’est substituée à l’idéal de justice et de charité de Saint Louis. Par l’accroissement constant de sa force, le pouvoir royal en est arrivé à ne plus tolérer d’obstacles et à justifier les moyens qu’il emploie par les fins qu’il s’assigne.

On s’en aperçoit tout de suite en jetant un coup d’œil sur l’intervention de la couronne dans les Pays-Bas. Jusqu’alors, elle y avait constamment soutenu la maison de Dampierre contre la dynastie rivale des d’Avesnes, et l’avait aidée à soumettre à son influence le Namurois, le pays de Liège, la Gueldre et le Luxembourg. Par elle, elle introduisait ainsi dans ces parties de l’ancienne Lotharingie dépendant de l’Allemagne, le pouvoir d’un de ses vassaux et l’appui qu’elle donnait au comte de Flandre contre le comte de Hainaut se rattachait à son habile politique d’empiétement au détriment de l’Empire. Jean d’Avesnes avait inutilement travaillé à intéresser Rodolphe de Habsbourg à sa cause. Il n’en avait obtenu que de vains diplômes contre Guy de Dampierre. Il devenait plus évident de jour en jour pour les princes des Pays-Bas que leur suzerain traditionnel ne pouvait rien pour eux et que leur intérêt leur imposait à tous de rechercher l’amitié du roi de France, dont le comte de Flandre avait si largement profité. Jean d’Avesnes faisant volte face, s’enhardit à faire sonder la cour de Paris. Il la trouva toute disposée à accueillir ses avances. En 1293, rompant avec son passé, il entra décidément dans la clientèle capétienne. Philippe le Bel s’alliait ainsi au mortel ennemi de cette maison de Flandre dont il était le suzerain et à qui, suivant le droit féodal, il devait aide et assistance ! Mais le droit féodal n’était plus mainte-