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avec bien plus d’éclat que ne l’avait fait l’année précédente le Parlement d’Angleterre, tranchaient en faveur de la couronne, c’est-à-dire en faveur de l’État, la question de la souveraineté. Il avait suffi qu’une assemblée nationale se prononçât, et le résultat que les empereurs s’étaient épuisés à poursuivre durant deux siècles de luttes qui avaient ensanglanté l’Allemagne et l’Italie, était atteint. A la force brutale des Césars germaniques, Rome avait jadis opposé victorieusement la force morale ; sa résistance à leurs tentatives de domination universelle avait rallié les nations à sa cause et l’Italie, en s’unissant à elle contre les Hohenstaufen, avait en même temps combattu pour sa propre liberté. Aujourd’hui, ses anciens alliés l’abandonnaient parce qu’elle menaçait à son tour leur liberté et leur indépendance. L’Allemagne ne s’était pas solidarisée avec la politique des empereurs ; la France se solidarisait avec celle de son roi. Que faire contre cette déclaration de guerre de tout un peuple ! A qui s’adresser ? A l’Angleterre ? Mais la querelle de la France était, en ce point, celle même de l’Angleterre. Bien plus, elle était celle de toutes les nations. Car, à la différence des empereurs, la France ne prétendait pas violenter la papauté et l’opprimer à son profit ; elle exigeait seulement que la papauté ne s’arrogeât pas le droit d’intervenir dans son gouvernement ; elle ne menaçait personne ; elle ne revendiquait que son autonomie temporelle, et l’intérêt de chaque État devait lui faire souhaiter qu’elle réussît. Boniface VIII se trouva donc isolé devant elle. L’ironie de l’histoire voulut que, ne sachant à qui recourir, il se tournât vers le roi d’Allemagne, Albert d’Autriche, dont il avait refusé jusqu’alors de reconnaître l’élection et que, rehaussant par nécessité cette majesté impériale que ses prédécesseurs avaient si fort humiliée, il lui rappelât qu’elle possédait la primauté sur tous les royaumes « et que les Français mentaient en disant qu’ils n’avaient pas de supérieur, puisqu’ils étaient en droit subordonnés à l’empereur ». La bulle Unam sanctam qu’il publia le 18 novembre 1302 est la dernière affirmation solennelle que Rome ait faite de sa primauté sur le pouvoir temporel. On y retrouve longuement exposée la théorie traditionnelle des deux glaives, et la subordination de tous les princes au successeur de Saint Pierre, ratione peccati.

Ainsi les prétentions contradictoires de l’État et de l’Église se heurtaient de front. Les choses eussent pu en rester là. Car la déclaration de principes contenue dans la bulle n’était qu’une manifestation désormais inoffensive. Mais Philippe le Bel était décidé