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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/315

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rellement d’enlever le gouvernement des villes aux oligarchies patriciennes qui y avaient dominé au xiiie siècle. Il n’était plus possible que quelques « lignages » de propriétaires fonciers et de marchands, siégeant dans l’échevinage ou au conseil, restassent seuls maîtres de réglementer l’industrie et le commerce, de fixer l’impôt, les prestations personnelles, etc. Ils n’abandonnèrent pas la place sans résistance. Leur gouvernement avait été dans toute la force du terme un gouvernement de classe ; il prétendit, avec obstination, se maintenir. Tout le xive siècle est rempli des luttes que se livrèrent, pour la possession du pouvoir municipal les « grands » et les « petits ». La comparaison s’impose entre elles et celles que provoqua au xixe siècle le droit de suffrage parlementaire. Des deux côtés, la masse, exclue du droit de gérer ses propres affaires, s’acharne à le revendiquer. La cause profonde de ces deux crises est la même. Les mœurs, les sentiments, les idées ont beau être différents, au fond, ce que les patriciens défendent contre les métiers, c’est la même prépondérance pour laquelle les parlements censitaires de notre temps ont si longtemps et si obstinément combattu le suffrage universel. Le xive siècle comme le xixe siècle a été agité d’un bout à l’autre par la démocratie. Seulement la démocratie de nos jours apparaît comme un régime accordant un droit politique à tout citoyen. Dans ces petits États que sont les villes du Moyen Age, sa conception se restreint en proportion ; elle est aussi étroite que les limites de la ville. Et il n’en pouvait être autrement. La société est trop morcelée, trop heurtée, trop localisée, pour que le sentiment de la liberté générale puisse s’y faire jour. La ville est un petit monde fermé, vivant pour soi, indifférent aux sentiments et aux intérêts des classes qui lui sont étrangères. L’artisan est aussi strictement bourgeois que le patricien, aussi exclusif que lui à tout ce qui n’habite pas sa commune. Il ignore cet esprit de prosélytisme niveleur, indifférent aux groupes locaux comme aux classes juridiques, que le spectacle des démocraties modernes nous a habitués à considérer comme inhérent à tout régime populaire. Au fond, la démocratie telle qu’il la conçoit, n’est qu’une démocratie de privilégiés, puisque aussi bien la bourgeoisie est, en comparaison des gens de la campagne, une classe privilégiée.

D’ailleurs le régime démocratique pur n’a triomphé que dans peu de villes. La plupart du temps, on a abouti à des compromis. Le patriciat, volontairement ou sous la pression de l’émeute, a