Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 66 —

suite, une chapelle, bâtie par le seigneur et dont il choisit et nomme le desservant, pourvoit aux besoins du culte. Quantité de paroisses rurales doivent leur origine à ces chapelles domaniales, et c’est par elles aussi que s’explique le droit de présentation des curés que bien des seigneurs locaux ont conservé jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, et dont il subsiste encore des traces dans certains pays.

Autour des terres cultivables, les bois, les prairies et les marais sont, proportionnellement à la part de sol qu’ils exploitent, livrés à la jouissance du seigneur et des vilains. Souvent si un cours d’eau les traverse, le seigneur y construit un moulin à son usage et à celui des habitants. Une part de farine est prélevée sur chaque sac par le meunier, pour son entretien ; c’est là le point de départ de ces droits de vassalité qui n’ont disparu qu’à la Révolution française.

Partout, quelles que soient les différences locales, se rencontrent les traits généraux de l’organisation qu’on vient de décrire, plus parfaite seulement, dans les propriétés ecclésiastiques que dans celles de l’aristocratie laïque. Elle a agi si profondément sur la société que dans toutes les langues le vocabulaire géographique et l’onomatologie en conservent la trace profonde. Il suffit de penser aux noms de lieux terminés, en France, par ville ou par court, et dans les langues germaniques, par hof, et à l’abondance des noms de famille Lemaire, Mayer, De Meyer, Le Mayeur, etc.

Ordinairement, un grand domaine se compose de plusieurs villes. Celui de Saint-Germain des Prés, à l’époque de Charlemagne, en comprenait une série éparpillées de la Bretagne aux bords de la Moselle. Presque toujours les monastères des régions septentrionales cherchaient a acquérir dans les pays à vignobles aux bords du Rhin, de la Moselle ou de la Seine, une ville qui pût leur fournir le vin qu’il était impossible de se procurer par le commerce[1].

Ce dernier trait achève de caractériser l’économie rurale sans débouchés dont le domaine des premiers temps du Moyen Âge est l’organe, comme la corporation de métier sera plus tard, celui de l’économie industrielle urbaine. Malgré les différences profondes de leur nature, tous deux se ressemblent en un point. L’un et l’autre, en effet, sont fondés sur la petite exploitation et ont eu

  1. L’abbaye de Saint-Trond, par exemple, possédait des vignobles à Briedel et Pommeren sur la Moselle.