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disparu à la fin de la période mérovingienne ou s’est transformé en redevances usurpées par les grands. Deux sources alimentent encore le trésor impérial : l’une intermittente et capricieuse : le butin de guerre ; l’autre permanente et régulière : le revenu des domaines appartenant à la dynastie. Cette dernière seule est susceptible de fournir aux besoins courants les ressources nécessaires. Charles s’en est occupé avec soin et le fameux Capitulare de villis prouve, par la minutie de ses détails, l’importance qu’il attachait à la bonne administration de ses terres. Mais ce qu’elles lui rapportaient, c’étaient des prestations en nature tout juste suffisantes au ravitaillement de la cour. À vrai dire, l’Empire carolingien n’a pas de finances publiques et il suffit de constater ce fait pour apprécier à quel point son organisation est rudimentaire si on la compare à celle de l’Empire byzantin et de l’Empire des khalifes avec leurs impôts levés en argent, leur contrôle financier et leur centralisation fiscale pourvoyant aux traitements des fonctionnaires, aux travaux publics, à l’entretien de l’armée et de la flotte.

Réduit aux ressources de ses domaines privés, l’empereur ne pouvait subvenir aux frais d’une administration digne de ce nom. Or pour que le fonctionnaire dépende de l’État, il faut que l’État non seulement le nomme, mais le paye. Ici, faute d’argent, l’État est obligé de recourir aux services gratuits de l’aristocratie, ce qui le place dans cette situation paradoxale de prendre justement comme collaborateurs les membres d’une classe sociale dont la puissance ne peut grandir que pour autant qu’il s’affaiblisse. Le danger est trop évident pour que l’on n’ait point cherché à y parer. Depuis la fin du viiie, un serment spécial de fidélité, analogue à celui des vassaux, est exigé des comtes au moment de leur entrée en charge. Mais le remède est pire que le mal. Car le lien vassalique, en rattachant le fonctionnaire à la personne du souverain, affaiblit, ou même annule, son caractère d’officier public. Il lui fait, en outre, considérer sa fonction comme un fief, c’est-à-dire comme un bien de jouissance et non plus comme un pouvoir délégué par la couronne et exercé en son nom. De plus, ce système, a chaque changement de règne, produit une crise des plus périlleuses. Le nouveau prince se trouve placé devant l’alternative ou de conserver en place les fidèles de son devancier ou de les remplacer par ses fidèles à lui. Dans le premier cas, il se condamne à gouverner avec un personnel qu’il ne connaît pas, dans