Page:Pirenne - Les Villes du Moyen Âge, 1927.djvu/104

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à la même époque, est certainement en rapport direct avec ce phénomène. Elle a eu pour résultat, en effet, de détacher du sol un nombre de plus en plus considérable d’individus et de les vouer à cette existence errante et hasardeuse qui, dans toutes les civilisations agricoles, est le lot de ceux qui ne trouvent plus à se caser sur la terre. Elle a multiplié la masse des vagabonds flottant à travers la société, vivant au jour le jour des aumônes des monastères, se louant au temps de la moisson, s’embauchant dans les armées en temps de guerre et ne reculant ni devant la rapine ni devant le pillage quand l’occasion s’en présentait. C’est parmi cette masse de déracinés et d’aventuriers qu’il faut chercher sans nul doute les premiers adeptes du commerce. Leur genre de vie les poussait naturellement vers les endroits où l’affluence des hommes permettait d’espérer quelque chance de gain ou quelque heureuse rencontre. S’ils fréquentaient assidûment les pèlerinages, ils n’étaient certainement pas moins attirés par les ports, par les marchés et par les foires. Ils s’y louaient comme matelots, comme haleurs de bateaux, comme débardeurs ou porte-faix. Les caractères énergiques, trempés par l’expérience d’une vie pleine d’imprévus, devaient abonder parmi eux. Beaucoup connaissaient des langues étrangères et étaient au courant des mœurs et des besoins de pays divers[1]. Qu’un hasard heureux se présentât, et l’on sait si les hasards sont nombreux dans l’existence d’un vagabond, ils étaient merveilleusement

  1. Le Liber Miraculorum Sancte Fidis, éd. A. Bouillet, p. 63, dit à propos d’un marchand : « et sicut negociatori diversas orbis partes discurrenti, erant ei terre marisque nota itinera ac vie publicae diverticula, semite, leges moresque gentium ac lingue ».