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propres à en tirer profit. Un petit gain, avec de l’habileté et de l’intelligence, peut se transformer en un grand gain. Il devait en être ainsi à une époque surtout où l’insuffisance de la circulation et la rareté relative des marchandises offertes à la consommation devait naturellement maintenir les prix à un taux très élevé. Les famines, que cette circulation insuffisante multipliait à travers l’Europe, tantôt dans une province tantôt dans une autre, augmentaient encore les chances de s’enrichir pour qui savait les utiliser[1]. Il suffisait de quelques sacs de blés transportés à propos au bon endroit pour réaliser des bénéfices magnifiques. Pour un homme adroit et n’épargnant pas ses peines, la fortune réservait donc de fructueuses opérations. Et certainement du sein de la masse misérable de ces va-nu-pieds errant par le monde, des nouveaux riches ne tardèrent pas à émerger.

On possède par bonheur quelques renseignements propres à fournir la preuve qu’il en fut bien ainsi. Il suffira de citer le plus caractéristique d’entre eux, la biographie de Saint Godric de Finchale[2].

Il naquit vers la fin du xie siècle, dans le Lincolnshire, de pauvres paysans, et il dut s’ingénier dès l’enfance à trouver des moyens de vivre. Comme beaucoup d’autres miséreux de tous les temps, ce fut un batteur de grèves, à l’affût des épaves rejetées par les flots. Puis on le voit, peut-

  1. F. Curschmann, Hungersnöte im Mittelalter (Leipzig, 1900).
  2. Libellus de vita et miraculis S. Godrici, heremitae de Finchale, auctore Reginaldo monacho Dunelmensi, éd. Stevenson (London, 1845). L’importance de ce texte pour l’histoire économique a été très bien mise en lumière par W. Vogel, Ein Seefahrender Kaufmann um 1100 (Hansische Geschichtsblätter, t. XII [1912], p. 239)·