Page:Pirenne - Les Villes du Moyen Âge, 1927.djvu/186

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éprouve pour elle une gratitude qui confine à l’amour. Il est prêt à se dévouer à sa défense, de même qu’il est toujours prêt à l’orner et à la faire plus belle que ses voisines. Les admirables cathédrales que le xiiie siècle a vu s’y élever ne seraient pas concevables sans l’empressement joyeux avec lequel les bourgeois ont contribué à leur construction. Elles ne sont point seulement les maisons de Dieu, elles glorifient encore la ville dont elles font le plus bel ornement et que leurs tours majestueuses annoncent au loin. Elles ont été pour les villes du Moyen Âge, ce que les temples ont été pour celles de l’Antiquité.

À l’ardeur du patriotisme local répond son exclusivisme. Par cela même que chaque ville arrivée au terme de son développement constitue une république ou si l’on préfère une seigneurie collective, elle ne voit dans les autres villes que des rivales ou des ennemies. Elle ne peut s’élever au-dessus de la sphère de ses intérêts propres. Elle se concentre sur elle-même et le sentiment qu’elle porte à ses voisines rappelle d’assez près, dans un cadre plus étroit, le nationalisme de nos jours. L’esprit civique qui l’anime est singulièrement égoïste. Elle se réserve jalousement les libertés dont elle jouit dans ses murs. Les paysans qui l’entourent ne lui apparaissent point du tout comme des compatriotes. Elle ne songe qu’à les exploiter à son profit. Elle veille de toutes ses forces à les empêcher de se livrer à la pratique de l’industrie dont elle se réserve le monopole ; elle leur impose le devoir de la ravitailler et elle les soumettrait à un protectorat tyrannique si elle en avait la force. Elle l’a fait d’ailleurs partout où elle l’a pu, en Toscane par exemple, où