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foncière. Elle assurait à la fois à son détenteur la liberté personnelle et l’ascendant social. Elle était la garantie de la situation privilégiée du clergé et de la noblesse. Détenteurs exclusifs de la terre, ils vivaient du travail de leurs tenanciers qu’ils protégeaient et qu’ils dominaient. La servitude des masses était la conséquence nécessaire d’une organisation sociale où il n’y avait d’autre alternative que celle de posséder le sol et d’être seigneur, ou de le labourer et d’être serf.

Or, avec la bourgeoisie, prend place au soleil une classe d’hommes dont l’existence est en contradiction flagrante avec cet ordre de choses. Car elle est dans toute la force du terme une classe de déracinés et pourtant elle est une classe d’hommes libres. La terre sur laquelle elle s’établit, non seulement elle ne la cultive pas, mais elle n’en est pas non plus propriétaire. Par elle se manifeste et s’affirme, avec une force croissante, la possibilité de vivre et de s’enrichir par le seul fait de vendre ou de produire des valeurs d’échange.

Le capital foncier avait été tout, et voilà qu’à côté de lui s’affirme la force du capital mobilier. Jusqu’alors l’argent monnayé avait été stérile. Les grands propriétaires laïques ou ecclésiastiques aux mains desquels se monopolisait le très faible stock du numéraire en circulation, soit par les cens qu’ils percevaient de leurs tenanciers, soit par les aumônes que les fidèles apportaient aux églises, ne possédaient normalement aucun moyen de le faire fructifier. Sans doute, il arrivait que des monastères, en temps de famine, consentissent des prêts usuraires à des nobles en détresse qui leur en-