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moines y venaient même de très loin chercher un asile contre les Normands, comme le firent, par exemple à Beauvais, ceux de Saint-Vaast en 887, à Laon, ceux de Saint-Quentin et ceux de Saint-Bavon de Gand en 881 et en 882[1].

Au milieu de l’insécurité et des désordres qui imprègnent d’un caractère si lugubre la seconde moitié du ixe siècle, il échut donc aux cités de remplir véritablement une mission protectrice. Elles furent, dans toute la force du terme, les sauvegardes d’une société envahie, rançonnée et terrorisée. Bientôt d’ailleurs elles ne se trouvèrent plus seules à jouer ce rôle.

On sait que l’anarchie du ixe siècle hâta la décomposition inévitable de l’État franc. Les comtes qui étaient en même temps les plus grands propriétaires de leur région, profitèrent des circonstances pour s’arroger une autonomie complète, pour faire de leurs fonctions une propriété héréditaire, pour réunir en leurs mains, au pouvoir privé qu’ils possédaient sur leurs domaines propres, le pouvoir public qui leur était délégué et pour amalgamer enfin sous leur domination, en une seule principauté, tous les comtés dont ils purent s’emparer. L’Empire Carolingien se morcela ainsi depuis le milieu du ixe siècle, en une quantité de territoires soumis à autant de dynasties locales et rattachés seulement à la Couronne par le lien fragile de l’hommage féodal. L’État était trop faiblement constitué pour pouvoir s’opposer à ce morcellement. Il s’accomplit incontestablement par la violence et la

  1. L. H. Labande, Histoire de Beauvais et de ses institutions communales, p. 7 (Paris, 1892) ; W. Vogel, Die Normannen und das Fränkische Reich, p. 135, 271.