Page:Pirenne - Les Villes du Moyen Âge, 1927.djvu/79

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consommer sans rien produire. Elle s’adonnait avec un zèle que la fiscalité entravait sans l’étouffer, non seulement au commerce mais à l’industrie. Elle était un grand port et un centre manufacturier de premier ordre, en même temps qu’une capitale politique. On y rencontrait tous les genres de vie et toutes les formes de l’activité sociale. Seule dans le monde chrétien elle présentait un spectacle analogue à celui des grandes cités modernes, avec toutes les complications, toutes les tares mais aussi tous les raffinements d’une civilisation essentiellement urbaine. Une navigation ininterrompue la rattachait aux côtes de la Mer Noire, de l’Asie Mineure, de l’Italie Méridionale et des pays baignés par l’Adriatique. Ses flottes de guerre lui garantissaient la maîtrise de la mer sans laquelle elle n’aurait pu vivre. Aussi longtemps qu’elle resta puissante, elle parvint à maintenir en face de l’Islam sa domination sur toutes les eaux de la Méditerranée Orientale.

On comprend sans peine combien Venise profita de se trouver rattachée à un monde si différent de l’Occident Européen. Elle ne lui dut pas seulement la prospérité de son commerce, il l’initia encore à ces formes supérieures de civilisation, à cette technique perfectionnée, à cet esprit des affaires, à cette organisation politique et administrative qui lui assignent une place à part dans l’Europe du Moyen Âge. Dès le viiie siècle, elle se consacre avec un succès de plus en plus grand au ravitaillement de Constantinople. Ses bateaux y transportent les produits des contrées qui l’avoisinent à l’Est et à l’Ouest : blés et vins d’Italie, bois de Dalmatie, sel des lagunes et, malgré les prohibitions du pape et de