Page:Pirenne - Les Villes du Moyen Âge, 1927.djvu/98

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étaient complètement étrangers à la vie maritime. Ils se contentèrent de s’approprier le sol, et la navigation méditerranéenne continua comme par le passé à s’acquitter du rôle qui lui avait été dévolu sous l’Empire.

L’invasion musulmane qui causa sa ruine et ferma la mer, ne provoqua aucune réaction. On accepta le fait accompli, et le continent européen privé de ses débouchés traditionnels, se confina pour longtemps dans une civilisation essentiellement rurale. Le trafic sporadique que des Juifs, des colporteurs et des marchands occasionnels pratiquèrent pendant l’époque carolingienne était trop faible et fut d’ailleurs trop complètement anéanti par les incursions des Normands et des Sarrasins pour que l’on soit tenté d’en faire le précurseur de la renaissance commerciale dont on surprend au xe siècle les premiers symptômes.

Peut-on admettre, comme il semblerait naturel de le supposer à première vue, qu’une classe marchande se soit formée peu à peu au sein des masses agricoles ? Rien ne permet de le croire. Dans l’organisation sociale du haut Moyen Âge, où chaque famille est attachée de père en fils à la terre, on ne voit point ce qui aurait pu pousser les hommes à échanger contre une existence assurée par la possession du sol, l’existence aléatoire et précaire du commerçant. L’amour du gain et le désir d’améliorer sa condition devaient être au surplus singulièrement peu répandus dans une population accoutumée à un genre de vie traditionnel, n’ayant aucun contact avec le dehors, qu’aucune nouveauté, qu’aucune curiosité ne sollicitaient et à laquelle l’esprit d’initiative faisait sans doute complètement