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défaut. La fréquentation des petits marchés établis dans les cités et dans les bourgs ne procurait aux paysans que des bénéfices trop minimes pour leur inspirer le désir ou leur faire même entrevoir la possibilité d’un genre de vie fondé sur l’échange. L’idée de vendre sa terre pour se procurer de l’argent liquide n’est certainement venue à aucun d’entre eux. L’état de la société et des mœurs s’y opposait invinciblement. Au surplus, on ne possède pas la moindre preuve que personne ait jamais songé à une opération aussi bizarre et aussi hasardeuse.

Certains historiens ont cherché à donner comme ancêtres aux marchands du Moyen Âge ces serviteurs que les grandes abbayes chargeaient de se procurer au dehors les denrées indispensables à leur subsistance et parfois aussi, sans doute, d’écouler dans les marchés voisins, l’excédent de leurs récoltes ou de leurs vendanges. Cette hypothèse, pour ingénieuse qu’elle soit, ne résiste pas à l’examen. Tout d’abord, les « marchands d’abbayes » étaient trop peu nombreux pour exercer une influence de quelque portée. De plus, ce n’étaient pas des négociants autonomes, mais des employés attachés exclusivement au service de leurs maîtres. On ne voit pas qu’ils aient pratiqué le commerce pour leur propre compte. On n’a pas réussi et l’on ne réussira certainement jamais, à établir entre eux et la classe marchande dont nous recherchons ici les origines, un lien de filiation.

Tout ce que l’on peut affirmer avec certitude c’est que la profession commerciale apparaît à Venise dès une époque où rien encore ne fait prévoir son expansion dans l’Europe occidentale.