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Page:Piron - Poésies badines et facétieuses, 1800.djvu/127

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Par bonheur il savait nager,
Et, gagnant le bord avec peine,
Après avoir repris haleine,
Fatigué des flots et du vent,
Il suit le chemin du couvent,
Sans savoir quelles gens y faisaient leur retraite.
Il y frappa : d’abord on vint l’interroger.
Une nonnain, jeune et bien faite,
Eut pitié de son sort et voulut le loger ;
Mais c’était contre l’ordre, et pour fléchir l’abbesse,
Qui n’avait pas l’âme tigresse,
La nonne mit la charité
Dans les intérêts du Corsaire.
Faites lui, — dit l’abbesse, — à votre volonté ;
« Mais surtout cachez ce mystère.
« Un homme dans ces lieux ! ah ! je tremble, ma sœur :
« Notre évêque a tant de rigueur ! »
« Vous vous moquez, Madame : et qui lui pourra dire
— Reprit la gentille nonnain !
« Faudra-t-il qu’un pauvre homme expire,
« Faute d’un secours si prochain ? »

Alors la pitié triomphante
Décida pour l’aventurier ;
Loin de se voir injurier,
On le mit contre son attente,
Dans un lieu reculé du commerce et du bruit.
Tout le favorisait ; il était déjà nuit.
Pour sécher ses habits et chasser sa faiblesse,
Le feu s’allume ; on lui donne du vin.
Pendant cela, l’esprit malin
Faisait désespérer l’abbesse.