« Pères, préparez-vous, voici l’instant fatal
« Qu’il faut mettre au grand jour, le sceptre monacal :
« De vos roides engins, montrez la révérence,
« Et voyons qui de nous aura la préférence.
Alors montrant le sien : « Voici, — dit-il, — mes droits
« Et le signe assuré de mes fameux exploits :
« Quoiqu’on ait retranché, par un malheur funeste,
« Pour être général, voyez ce qui me reste :
« Révérends, c’est, je pense, un assez bel hochet. »
À son aspect, on croit voir un vit de mulet.
Saisi d’un saint transport, un vieillard en lunette,
S’approche pour le voir, fait une humble courbette ;
De près il l’examine, et dit : « Par saint François !
« Voilà, je crois, de l’Ordre, un des plus beaux anchois. »
Mais d’un air dédaigneux, saisissant la parole,
Père Tapeux soutient que c’est une hyperbole,
Prétendant qu’il n’a pas suffisante grosseur ;
Défie, à son égard, le plus rude censeur,
Et, levant d’une main, sa longue robe brune,
De l’autre, il sort un vit, propre à faire fortune.
À peine, le peut-on empoigner d’une main ;
Long en proportion, carré, sec et mutin.
« — Voilà, — dit-il, — un vit, rougissant de colère,
« Et non pas ce que vient de nous montrer le Père.
« Avec cet outil-là, je peux, sans me gêner,
« Fournir mes douze coups, dont six sans déconner. »
Le chapitre sourit, et prend cette bravade
Pour un discours en l’air, pour une gasconnade ;
Mais le moine, piqué de cet affront nouveau,
Frappe de son gros vit, vingt fois sur le bureau.
Cet effort vigoureux fait trembler le Chapitre ;
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