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PROTAGORAS

Pensant trouver l’homme sans faiblesse, parmi nous tous qui nous partageons les fruits de la terre ;
Et si je le trouve, j’irai vous le dire.

« Telles sont ses paroles ; tant est vive, dans tout le poème, son attaque contre Pittacos :

Mais quiconque ne pèche pas, volontiers, je le loue et je l’aime ;
Quant à la nécessité, les dieux mêmes n’y résistent pas.

« Ces vers ont encore le même objet. Car Simonide n’était pas assez ignorant pour dire qu’il louait ceux qui ne pèchent pas volontairement[1], comme si personne jamais faisait le mal de son plein gré.

« Pour moi, je suis bien convaincu que, parmi tous les savants, on n’en trouverait pas un seul disposé à croire que jamais homme se trompe de son plein gré et fasse volontairement des choses mauvaises et honteuses : ils savent parfaitement que les auteurs d’actions mauvaises et honteuses les commettent malgré eux, et Simonide à coup sûr ne se dit pas prêt à faire l’éloge de qui ne pèche pas volontairement, mais rapporte ce mot « volontiers » à lui-même. Il pensait en effet qu’un honnête homme se contraint parfois lui-même à témoigner de l’amitié et à donner des éloges malgré lui. On peut par exemple avoir des relations pénibles avec son père, sa mère, sa patrie, ou dans d’autres circonstances analogues : les méchants, en pareil cas, voient avec joie et mettent en lumière par leurs reproches et leurs accusations les torts de leurs parents ou de leur patrie, afin de pouvoir les négliger sans que cette négligence leur attire le blâme des autres, si bien qu’ils redoublent de reproches et ajoutent encore de leur crû aux causes naturelles d’inimitié ; les bons, au contraire, jettent un voile sur les torts et font

    expressions εὖ et κακῶς πράττειν (réussir — échouer ; bien et mal agir) tendent à se confondre.

  1. Simonide cependant n’a pas voulu dire autre chose. Il oppose les fautes volontaires à celles que la nécessité excuse. Ici encore (cf. p. 63, n. 1), Socrate fait violence au texte. Cela lui permet de ramener une idée qui lui est chère (cf. Gorgias 509 e) et de diriger une pointe contre Simonide à propos des relations qu’on lui reprochait d’entretenir avec de puissants dynastes ou tyrans tels que Scopas, Hipparque, Hiéron.