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PHÉDON

desquels, c’est un fait, on a vu des spectres ombreux d’âmes : images appropriées de celles dont nous parlons, et qui, pour avoir été libérées, non pas en état de pureté, mais au contraire de participation au visible, sont par suite elles-mêmes visibles. — C’est au moins vraisemblable, Socrate.

— Vraisemblable, assurément, Cébès ! Et ce qui certes ne l’est guère, c’est que ces âmes-là soient celles des bons. Ce sont au contraire celles des méchants qui sont contraintes d’errer autour de ces sortes d’objets : elles paient ainsi la peine de leur façon de vivre antérieure, qui fut mauvaise. Et elles errent jusqu’à ce moment où l’envie e qu’en a leur acolyte, ce qui a de la corporéité, les fera de nouveau rentrer dans les liens d’un corps ! Or celui auquel elles se lient est, comme il est naturel, assorti aux manières d’être dont elles ont justement, au cours de leur vie, fait leur exercice[1]. — Quelles sont donc, Socrate, ces manières d’être dont tu parles ? — Exemple : ceux dont gloutonneries, impudicités, beuveries ont été l’exercice, ceux qui n’ont pas fait preuve de retenue, c’est dans des formes d’ânes ou de pareilles bêtes, que tout naturellement s’enfoncent leurs âmes. Ne le penses-tu pas ? — 82 Parfaitement ! C’est tout naturel en effet. — Quant à ceux pour qui injustices, tyrannies, rapines sont ce qui a le plus de prix, ce sera dans des formes de loups, de faucons, de milans. Ou bien peut-il y avoir, d’après nous, une autre destination pour de telles âmes ? — Non, c’est bien ainsi, dit Cébès : la leur, ce seront de telles formes. — N’est-il pas parfaitement clair, reprit-il, pour chacun des

    est naturel que, vivant par le corps, ces âmes redoutent d’aller où un Dieu sage et bon, Hadès, les délivrerait. C’est ainsi que, nouveau-mort, l’homme libre tué par un de ses égaux persiste à tourmenter celui-ci de son ressentiment jaloux, Lois IX, 865 de.

  1. L’âme est individualisée par les mœurs de son corps (cf. 83 d) ; se purifier de la souillure du corps, c’est se désindividualiser dans la pensée absolue. Ce principe est à la base de l’eschatologie de Platon : une âme logée dans un corps d’homme, mais asservie à des mœurs animales, doit après la mort passer dans le corps animal approprié à son genre de vie. L’idée s’ébauche dans le mythe du Gorgias (523 c-e, 524 d). Elle se développe, à peu près comme ici, dans le mythe d’Er au Xe livre de la République, 618 a, 620 a-d, dans le Phèdre 248 c-249 c, dans le Timée 41 d-42 d, 76 d, 90 b-e, 91 d-92 c où elle sert de base à une conception transformiste.