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LE BANQUET

dans le discours d’Agathon (cf. p. 79, n. 1). Est-ce à dire pourtant qu’il ne faille y chercher rien d’autre qu’une stylisation symbolique ? Précisément parce qu’il est en un sens cela même et qu’il fait servir l’image à l’expression d’une vérité profonde (cf. 215 ab et 217 e), il doit aussi contenir plus d’un trait de vérité historique. Au reste, en faisant invoquer par Alcibiade, à cinq reprises, l’assentiment ou le désaveu de Socrate quant à l’exactitude de son langage (214 e, 215 b, 216 a, 217 b, 219 c), Platon a probablement voulu attirer sur ce point notre attention. Parmi ces éléments de vérité, les plus incontestables sont ceux qui concernent la conduite de Socrate à Polidée et à Dèlion (220 d-221 b). Pour le reste, il y aurait lieu, je crois, de faire la part d’un schématisme qui, en simplifiant l’ensemble, accuse avec exagération certains traits, soit pour des besoins de symétrie, soit afin de caractériser plus fortement le portrait du Philosophe idéal (cf. p. cviii, n. 2).

L’éloge de Socrate par Alcibiade est un morceau d’une qualité telle qu’il paraîtra sans doute sacrilège de le soumettre à un examen analytique. Dans son débraillé, il est cependant d’une inspiration parfaitement homogène, et, malgré la verve qui s’y déploie avec une franchise qu’aucun respect humain ne retient (cf. 222 c déb.), il est d’une incomparable richesse de sentiment et de pensée. Aussi doit-on se résigner, non sans répugnance, à le dépouiller de la libre originalité de sa forme, pour essayer de voir quelle est la signification de son contenu, ou, si l’on veut, sa contexture philosophique. Car le désordre avoué qui s’y constate (215 a déb. ; cf. 221 d fin) n’est pas dû seulement à l’ivresse de celui qui parle ; il l’est aussi, notons-le bien, à l’embarras qu’éprouve un esprit rebelle à la philosophie, fût-il même séduit par elle, à en concevoir la nature et la fonction (cf. Rép. VI 488 e-489 c), à en démêler les procédés, surtout dans la manière d’être de Socrate, le Philosophe par excellence.

En un très grand nombre d’endroits Platon a insisté sur ce qu’a d’étrange et de déroutant la personnalité de son maître : c’est la fameuse atopia (cf. 221 d), le caractère qui fait qu’on ne sait où loger un pareil être dans les catégories humaines de l’expérience commune ; voilà pourquoi Alcibiade ne peut le comparer qu’à des êtres fabuleux, tels que sont les Silènes ou les Satyres. On reviendra sur cette comparaison ; mais dès à présent on peut observer que, si Socrate est comparable à