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LE BANQUET

lui fixe la hiérarchie universelle des êtres, qui l’arrache enfin à l’ivresse engourdissante de la boisson des dieux[1]. Le jardin de Zeus, dans lequel a été conçu l’Amour, c’est l’être vivant, l’être humain principalement, dans lequel le besoin s’unit à l’ingéniosité pour créer l’amour, habile à posséder ce qu’il convoite. Enfin, s’il a été conçu le jour où naissait Aphrodite (cf. p. 54, n. 3), c’est que l’éveil de l’amour est dû à la révélation de la beauté[2].

Le développement qui suit l’exposition du mythe en détermine d’ailleurs exactement la portée. Il montre en effet, contrepartie des litanies de l’Amour chez Agathon (197 de), que la nature de l’Amour est entièrement faite de contrastes solidaires et est, par suite, double, contradictoire et instable, dans son unité actuelle et dans son équilibre mouvant. Par là, on le voit immédiatement, cette conception s’oppose à celles de Pausanias, pour qui il existe deux amours dont l’un est stable et constant, et d’Aristophane pour qui l’unité est un état passé et aboli, que l’amour s’efforce ensuite de rétablir dans le présent. Cette conception est d’abord envisagée en général. Que doit l’Amour à son ascendance maternelle ? De n’être, contrairement à ce que disait Agathon (cf. aussi 204 bc), ni beau, ni délicat, ni propre, ni raffiné, ni soucieux de confortable (cf. p. 55, n. 2), mais d’être tout l’opposé. Que doit-il à son ascendance paternelle ? D’être toujours en quête de ce qui est beau et bon, d’être hardi et infatigable, inventif et industrieux, passionné de savoir, c’est-à-dire acharné à philosopher, et non pas savant comme le voulait encore Agathon (196 de), charmeur au sens plein du mot, à la façon d’un magicien, et créateur d’illusion, à la façon d’un Sophiste[3]. Voilà, en quelque sorte, sa détermination statique. Sous son aspect dynamique, autrement dit dans son

  1. C’est ainsi que, dans la République, le philosophe est rappelé à lui-même, invité à ne pas s’oublier dans la contemplation et à redescendre dans la caverne : VI 496 b-497 a, 500 b-d ; VII 519 d, 539 e sq.
  2. Voir op. cit. p. 128 sq. — Quand Platon dit, ici et 180 d, qu’Amour est le suivant et le servant d’Aphrodite, peut-être se souvient-il d’Hésiode, Théogonie, v. 301.
  3. L’ironie est évidente. Mais il faut se souvenir que cette magie et cette sorcellerie consistent aussi bien, d’après le Phédon (77 e sq.), à dissiper nos craintes et nos illusions. Cf. p. cvi sq.