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PHÈDRE

le problème[1] : « Ceux qui rentrèrent alors, y lit-on, usèrent assurément d’une très grande modération. Mais voici ce qui arrive : ce Socrate, au cercle duquel nous appartenions, est traduit en justice par certains hommes qui avaient du pouvoir… » Or l’expression ne convient ni au principal accusateur, Mélètus, ni à l’un de ceux qui avaient appuyé l’accusation, Lycon : ce n’étaient pas des hommes puissants ; très tôt ils étaient déjà des inconnus. Le seul, dans l’affaire, qui eût du pouvoir, c’est celui qui avait mis sa signature à côté de celle de Lycon, savoir Anytus. Il était une des têtes du parti démocrate et, dans la révolution de 403, son rôle avait été de premier plan[2]. Mais, si le pluriel de la Lettre a une signification, on peut alors supposer que, derrière l’accusateur en titre et à côté d’Anytus, il y a d’autres hommes puissants. Peut-être l’Apologie nous mettrait-elle sur la voie. De toutes les haines qui se sont conjurées contre moi, y dit Socrate (23 e sq.), Mélètus représente celle des poètes, Anytus celle des gens de métier et des hommes politiques, Lycon celle des orateurs. Ordinairement on comprend : des orateurs politiques, parce qu’on se réfère au passage de Diogène Laërce (II 38) où, peut-être d’après Hermippe, Lycon est appelé δημαγωγός, orateur du parti populaire. Mais, si le renseignement est exact, comment se fait-il que, dans l’histoire de ces temps, nous ne trouvions pas trace d’un politicien de ce nom ? De plus, l’acception du mot orateur (ῥήτωρ) est habituellement déterminée chez Platon par le contexte ou spécifiée avec précision[3] ; or, rien de tel ici. Il est donc permis de supposer

  1. On ose à peine avouer que les multiples arguments allégués aujourd’hui par tant d’illustres critiques en faveur de l’authenticité, totale ou partielle, du recueil des Lettres ne semblent pas décisifs. Plusieurs d’entre elles, sans doute, reflètent de bons documents et témoignent d’une remarquable habileté. Le scepticisme dont je ne puis me défendre, même à l’égard de la viie, n’est pas diminué, loin de là, par quelques réminiscences, trop adroites, du Phèdre : 344 de, cf. 276 de ; 348 a déb., cf. 249 d.
  2. Les motifs qui avaient poussé Anytus à contresigner l’accusation, peut-être même à la provoquer, sont fort bien analysés par M. Eudore Derenne, Les procès d’impiété intentés aux philosophes à Athènes au ve et au ive siècle avant J.-C. (1930), p. 133,  sqq.
  3. « Quel est l’art dans lequel tu es savant ? demande Socrate à Gorgias (Gorgias 449 a). — La rhétorique ! — C’est donc ῥήτωρ,