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NOTICE

besoin d’un cheval pour la guerre, d’acheter cet animal aux longues oreilles ? Il n’y a qu’à transporter cet exemple au cas de la distinction du bien et du mal, pour se rendre compte de ce que peut valoir en ses fruits une rhétorique ainsi conçue. Peut-être y a-t-il cependant, dans l’expression d’un tel grief, une simplicité quelque peu brutale. La rhétorique, par la voix d’un de ses suppôts (Notice, p. clxviii sqq.), répondra que la connaissance de la vérité est préliminaire sans doute, mais insuffisante pour savoir persuader et que, si le but du discours est de persuader, on ne saurait se passer de la rhétorique, l’art qui en enseigne le moyen. — Ainsi une sorte de procès est engagé, où la rhétorique est défenderesse. Le demandeur lui refuse le droit, telle qu’en fait elle se comporte, de se dire un art, une discipline capable d’être transmise par l’enseignement ; il soutient qu’elle n’est au contraire qu’une grossière routine. Il procède donc, selon l’usage, à l’interrogatoire de la partie adverse (p. 62, n. 3).


La rhétorique comme « psychagogie » de l’illusion.

B. Le but de la rhétorique, demandera-t-il, n’est-ce pas de « diriger les âmes » par la parole, d’être une psychagogie[1], comme il existe une pédagogie dont le but est de diriger l’enfance ? Est-elle cela dans toutes les circonstances possibles, soit publiques, devant l’Assemblée du Peuple ou au Tribunal, soit privées, et quelle que soit d’ailleurs l’importance du sujet ou l’étendue du discours ? C’est seulement, répond la rhétorique, dans les deux premiers cas, ce qui implique que le sujet est important et que le discours sera étendu. Mais, riposte le demandeur, dans l’Assemblée ou au Tribunal n’est-ce pas une controverse qui s’engage, une antilogie, où s’affrontent deux parties dont chacune cherche à faire croire aux mêmes gens que la même chose est juste ou injuste, bonne ou mauvaise ? Or n’est-ce pas ce qui se passe aussi dans des discussions en petit cercle et portant sur de petits intérêts, ainsi l’argumentation de Zénon d’Élée sur la pluralité et le mouvement ? C’est donc que le domaine de la rhétorique

  1. Sur cette expression, cf. p. cxliii et cxlvii. Je m’attache seulement ici à marquer l’enchaînement des idées ; ces questions seront examinées spécialement dans la section VI.