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PHÈDRE

est bien plus vaste qu’elle ne le croit, mais que, d’autre part, son caractère essentiel est de s’appliquer, autant que faire se peut et à l’égard de gens capables de s’y laisser prendre[1], à assimiler ceci à cela qui en diffère et à seule fin de créer une illusion, ou bien au contraire à déjouer dans le discours d’autrui de telles assimilations illusoires. Or, comment pourra-t-on pratiquer contre autrui cet art d’illusion, ou bien éviter d’en être dupe soi-même, si l’on n’est pas capable de distinguer des choses qui se ressemblent ? Car le terrain privilégié d’un tel illusionnisme est celui sur lequel on peut insensiblement glisser d’un terme à celui qui en est réellement le contraire[2]. Produire l’illusion aussi bien que la discerner suppose donc qu’on ne se contente pas d’opérer sur des opinions incertaines et vagues, mais que l’on connaît l’essence vraie de ce qui, peu ou prou, se ressemble[3]. Autrement, la rhétorique n’a aucun droit de se présenter à la barre pour prétendre qu’elle est un art.


Le recours aux exemples.

C. Mais tout cela n’est-il pas trop peu concret ? Pour nous rendre compte de la différence qui sépare un discours fait avec art d’un discours sans art, considérons, dit Socrate, les trois discours qui ont été prononcés sur l’amour : celui de Lysias et les deux miens. Et Phèdre d’approuver ; élève des rhéteurs, il est en effet habitué à étudier sur des « exemples »,

  1. À 261 e 3 οἷς est, je crois, un masculin et, de même, ἐν τοῖς ἄλλοις 262 a 11. Cette proposition correspond à celle de c 10 sq., où Platon a distingué entre l’objet dont on parle et les sujets à qui l’on s’adresse. Nous savons tous ce que c’est qu’un âne et ce que c’est qu’un cheval ; on n’a donc aucune chance de faire prendre à quelqu’un un âne pour un cheval ; c’est ce qui faisait de l’exemple précédent un argument à la fois comique et péremptoire. Mais il n’en est pas ainsi pour le juste et l’injuste ; aussi, devant des sujets qui, sur ces objets, ignorent la vérité, aura-t-on beau jeu pour tout brouiller sans qu’ils s’en aperçoivent.
  2. Le genre « ressemblance », dit le Sophiste (231 a) exige qu’on soit constamment sur ses gardes, car « il n’y a pas de genre plus glissant ».
  3. Il suit de là qu’en cette matière l’art véritable ne peut appartenir qu’à celui qui emploie à faire illusion un savoir authentique ou qui joue, comme Socrate, la comédie de l’inscience. Cela rappelle, la