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CRATYLE

probablement question, Cratyle, si tout se transforme et rien ne demeure. Car si cette chose même que nous nommons la connaissance ne cesse, par transformation, d’être connaissance, toujours la connaissance subsistera et il y aura connaissance. Mais si la forme même de la connaissance b vient à changer, elle se changera en une autre forme que la connaissance et, du coup, il n’y aura pas de connaissance. Et si elle change toujours, jamais il n’y aura de connaissance ; d’où il suit qu’il n’existera ni de sujet pour connaître, ni d’objet à connaître. Si au contraire le sujet connaissant existe toujours, comme l’objet connu, comme le beau, comme le bien, comme chaque être en particulier, ce dont nous sommes en train de parler me paraît n’offrir aucune ressemblance avec un écoulement et une mobilité. En serait-il ainsi, ou bien c la vérité est-elle dans l’autre théorie, celle de l’école d’Héraclite et de beaucoup d’autres[1] ? C’est là, je le crains, un point difficile à élucider. Peut-être n’est-il pas très sensé de s’en remettre, soi et son âme, aux bons offices des noms avec une entière confiance en eux et leurs auteurs, pour affirmer, comme si l’on avait quelque savoir, et décider contre soi-même et contre les choses que rien de rien n’est sain, et que tout s’écoule et s’en va comme vases d’argile ; bref, de se représenter les choses dans le même état d que les gens affligés d’un catarrhe, en jugeant que tout est atteint de flux et d’écoulement. Il se peut, Cratyle, qu’il en soit ainsi ; il se peut aussi que non. Il faut donc procéder courageusement à un examen dans les règles, sans rien admettre à la légère — tu es encore jeune et à la fleur de l’âge —, et après enquête me faire part, s’il y a lieu, de tes découvertes.

Cratyle. — Je n’y manquerai pas. Sache-le pourtant, Socrate : même en ce moment, je ne suis pas sans y réfléchir, et à examiner ce problème qui me tracasse, je préfère de beaucoup l’opinion e d’Héraclite.

    vague et lointaine par opposition à la vue directe du réel (ὕπαρ) ; 476 c, le mot est défini : confondre soit en songe, soit pendant la veille, la simple ressemblance avec l’objet lui-même. Mais la réserve apparente avec laquelle la théorie des Formes est introduite dans le Cratyle n’est peut-être qu’un procédé de l’ironie socratique. Dans le Charmide, 173 a, Socrate présente de même comme un radotage (ληρεῖν) et un rêve (ὄναρ) des conclusions qui sont pourtant nettes.

  1. En particulier les sophistes et notamment Protagoras.