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CRATYLE

produisent des retours inattendus où se joue l’ironie platonicienne. Après avoir consacré de longues explications aux étymologies, Socrate les déclare sans fondement ; les procédés employés ne sont que des expédients, et l’ensemble reste en l’air, car il eût fallu étudier auparavant la formation des noms primitifs. On croit être parvenu à une définition du nom, quand Socrate constate soudain qu’elle n’est pas bonne (423 bc) et qu’il faut en trouver une autre. Ayant défini la méthode à suivre pour étudier la formation des noms primitifs, il paraît se dérober tout à coup, se disant incapable de faire les distinctions nécessaires (425 b), etc.

La valeur dramatique du dialogue réside aussi dans l’attitude des personnages mis en scène. Comme d’habitude, c’est la figure de Socrate qui domine l’entretien. On retrouve ici ses traits ordinaires : son affectation d’ignorance, sa dialectique patiente et rigoureuse, qui ne se satisfait point d’à-peu-près et revient sans cesse sur les résultats acquis pour en contrôler la justesse, sa bonhomie railleuse dont l’ironie, paraissant s’exercer sur lui-même comme sur l’interlocuteur, déconcerte l’adversaire et ménage à la marche du dialogue des revirements imprévus. Cette souple dialectique se joue avec une sûreté infaillible des contradictions apparentes et des difficultés. Sous des dehors capricieux elle sait où elle va, et sa prudence s’arrête où il faut. Autant que les idées qu’il exprime, les diverses attitudes de Socrate, ses changements de ton, ses avertissements dessinent la courbe de l’entretien, et nous renseignent au fur et à mesure sur la pensée de l’auteur. Mais le Socrate du Cratyle est un Socrate tout platonicien, qui a médité sur la philosophie du langage et « rêvé » à la théorie des Formes.

Hermogène, fils d’Hipponicos, est un des fidèles disciples de Socrate[1]. Le Phédon le nomme parmi ceux qui ont assisté le philosophe à ses derniers moments[2]. Quant à l’assertion de Diogène de Laërte[3] qu’Hermogène fut un des maîtres de Platon, elle est extrêmement suspecte[4]. Hermogène était de noble famille, et frère cadet du riche Callias, mais le Cra-

  1. Σωκρατικός, dit Proclus, éd. Boissonade, p. 55.
  2. 59 b.
  3. III, 6.
  4. Stallbaum, Platonis opera omnia, vol. II, p. 18-19.